L’impératif de protection de l’océan*
A trop exploiter les ressources offertes par la mer, on prend le risque de s’en priver irrémédiablement. Pour Jean-Michel Arnaud, vice-président de Publicis Consultants, il faudrait mieux la protéger pour ensuite en exploiter, dans le respect de l'environnement, ses innombrables bénéfices.
Avec plus de 10 millions de km2, la France jouit du deuxième territoire maritime au monde, dans lequel s’exercent de nombreuses activités qui participent de sa richesse et de son rayonnement : commerce, pêche, tourisme, science, énergie, défense, … L’économie bleue génère 14 % du PIB du pays et fait vivre de nombreux territoires aux quatre coins du globe. Cela signifie qu’une responsabilité particulière lui incombe dans la protection de l’océan et de ses écosystèmes, grandement affectés par le développement humain. A trop exploiter les ressources offertes par la mer, on prend le risque de s’en priver irrémédiablement.
Les menaces environnementales qui pèsent sur l’océan et les territoires qui lui sont contiguë sont légion. Comme l’ensemble de la planète, l’océan est confronté à la hausse des émissions de gaz à effet de serre qui entraîne acidification, élévation de la température et désoxygénation de l’eau. La montée des eaux due au changement climatique renforce le processus d’érosion et de submersion des zones côtières. En France, 80 % des communes littorales sont sujettes à des risques naturels majeurs. A cela viennent s’ajouter la pollution des mers et l’épuisement des ressources halieutiques.
Par la position qu’elle occupe, la France se doit d’être une figure de proue de la protection de l’océan. Sa diplomatie est active au niveau international pour sa reconnaissance comme un bien commun. La loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire est reconnue par ses partenaires européens comme une avancée notable dans la lutte contre la pollution au plastique. La coopération européenne est d’ailleurs un atout puissant dans le combat pour la préservation de l’océan, avec par exemple la création d’un fonds de décarbonation du transport maritime. Emmanuel Macron a aussi récemment pris l’engagement de placer 10% des aires marines en zone de protection forte, contre seulement 1,5% aujourd’hui, un statut très protecteur qui permet la préservation de la vie marine.
Le tourisme est au cœur de cette nouvelle donne maritime. Poumon économique du pays et vital à la survie de certains territoires, il atteint parfois les limites du soutenable. Certaines îles cherchent désormais, comme de nombreuses villes européennes, à limiter leur fréquentation. Diminuer l’hyper-dépendance au tourisme de masse est une nécessité pour offrir une expérience de meilleure qualité dont la pérennité n’est pas menacée.
Ces efforts ne signifient pas que la France devrait apprendre à se passer de son formidable atout maritime, bien au contraire. La protection de l’océan n’est pas seulement nécessaire à la préservation des activités qui en sont issues, elle constitue un levier pour en développer de nouvelles. Paradoxalement, certaines opportunités offertes par la mer sont encore sous-exploitées. C’est le cas des énergies marines renouvelables, qui représentent à peine 0,2 % de la production primaire des énergies renouvelables (EnR) en France. Pourtant, leur potentiel permettrait de porter à 43% la part des EnR dans le mix énergétique du pays d’ici 2023. On pense souvent à l’éolien offshore, de nombreux parcs devraient être mis en service dans les années qui viennent, mais d’autres technologies existent : l’utilisation de la houle par exemple, dont la France fut pionnière, ou celle de l’énergie thermique de la mer. Ces technologies ne sont pour la plupart pas encore pleinement effectives mais pourraient le devenir rapidement avec un soutien suffisant en recherche et développement.
Moins connu mais tout aussi important, particulièrement en ces temps de pandémie, la biodiversité marine recèle des trésors médicamenteux. Le milieu marin offre une véritable «chimiothèque » de molécules dont certaines ont été à l’origine des plus grandes avancées de la médecine. La première molécule utilisée pour lutter contre le VIH provenait par exemple d’une éponge des Caraïbes. Ce sont au total treize Prix Nobel de médecine qui peuvent être liés à la production marine. Ces possibilités semblent infinies, puisqu’on estime que moins de 0,5% des organismes marins a été étudié sous l’angle de la recherche thérapeutique. On ne le dira donc jamais assez : la protection de l’océan et de ceux qui y vivent est un enjeu crucial pour l’humanité.
Nous ne sommes pas assez conscients du lien indéfectible qui unit l’océan à l’homme. C’est un territoire qui demeure mal connu, mystérieux, même pour les populations qui vivent à proximité. Au-delà des efforts faits pour limiter notre empreinte sur les espaces maritimes et assurer leur préservation, il faut donc assurer la diffusion d’une véritable culture océanographique auprès du plus grand nombre. Si « la mer lave tous les maux de l’homme », encore faut-il que chacun sache venir s’y baigner.
* »Drop the S » www.oceanprotect.org