La mer, un réservoir à médicaments
La pandémie et sa recherche de vaccins ont mis l’emphase sur l’urgence vitale à préserver la biodiversité marine et les trésors médicamenteux qu’elle recèle. Car si les changements dans l’océan nous impactent, l’océan est aussi la source de solutions.
C’est d’abord en plongeant dans les profondeurs des abysses que le biologiste marin Franck Zal a exploré les capacités d’adaptation respiratoire de vers des sources hydrothermales. Et depuis, c’est à un ver commun des côtes bretonnes qu’il consacre son attention. Il a découvert que l’arénicole, qui s’arrête de respirer pendant six heures à marée basse (et est responsable des myriades de petits tourbillons de sable sur la plage !), possède une hémoglobine capable de transporter quarante fois plus d’oxygène que l’hémoglobine humaine. « J’ai alors démissionné du CNRS pour amener la molécule vers le lit des patients. » Il fonde en 2007 l’entreprise Hemarina à Morlaix (Finistère) qui développe à partir de cette hémoglobine des applications telles que HEMO2life®, un additif pour des solutions de préservation d’organes. « La molécule fonctionne comme une éponge, elle lie l’oxygène, puis le libère graduellement dans un milieu hypoxique », explique-t-il. Le premier homme à se faire greffer une deuxième face par le professeur Lantieri a bénéficié de ce produit qui est aujourd’hui un dispositif médical de classe 3 pour les greffes de rein principalement. Franck Zal ne collecte plus des vers sur la plage de Roscoff (Finistère), mais a investi une ferme marine à Noirmoutier (Vendée), transformée en élevage d’arénicoles.
Moins de 0,5 % des organismes marins ont été étudiés en termes de recherche thérapeutique
Depuis 50 ans, 25 000 molécules ont ainsi été isolées d’organismes marins, avec une augmentation de 5 % par an. Les spécificités du milieu entraînent une variété d’adaptations biologiques conduisant à la production d’un large spectre de molécules prometteuses. Une douzaine sont devenues des anticancéreux, antibiotiques, antiviraux, immunosuppresseurs, régénérateurs osseux et des outils de laboratoires (sondes moléculaires, protéines de fluorescence, catalyseurs). Une douzaine, cela peut sembler peu, mais il s’agit souvent de thérapeutiques puissantes qui ouvrent la voie pour des maladies incurables.
Un ver breton permet l’oxygénation de greffons avant transplantation.
Comme l’AZT, la première molécule utilisée contre le VIH, isolée de Tectitethya crypta, une éponge des Caraïbes, et désormais synthétisée chimiquement (Retrovir). Treize prix Nobel de médecine sont d’ores et déjà liés à la production marine. Par exemple, en 1913, les travaux de Charles Richet sur le venin de la physalie mettent en évidence le phénomène de choc anaphylactique. Ou, en 2000, Eric Kandel détermine les bases moléculaires de la mémoire grâce à une limace de mer. Le milieu marin et sa biodiversité représentent ainsi une « chimiothèque » extraordinaire. Les possibilités semblent infinies puisque moins de 0,5 % des organismes marins ont été étudiés en termes de recherche thérapeutique. La recherche cosmétique est également dynamique. Les laboratoires de Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) ont par exemple breveté des actifs issus d’une algue rouge de la côte basque. Récoltée lorsqu’elle s’échoue sur les plages à l’automne, Gelidium sesquipedale est employée pour ses propriétés gélifiantes et antioxydantes. Si les recherches s’exercent de la surface jusqu’aux abysses, la ruée vers la biodiversité doit être encadrée. La haute mer n’est couverte par aucun protocole ou traité sur la protection et l’exploitation des ressources génétiques, alors qu’on y effectue des bioprospections. Des négociations sont en cours à l’ONU pour réguler ce territoire.