Ce qui pose problème, ce n’est pas le statut, mais le corporatisme
La loi du 6 août 2019 est-elle porteuse d’une véritable réforme de la fonction publique ?
Il ne peut y avoir de véritable réforme de la fonction publique sans une articulation pensée du juridique, du social et du politique. Ce fut le cas en 1945-1946 : il y avait un projet juridique (harmonisation du droit des trois fonctions publiques), un projet social (diversité des recrutements et élites mises au service de l’État), un projet politique (l’État comme pivot de la vie économique). Depuis trois décennies, les réformes engagées font prévaloir une lecture très technique, budgétaire, comptable : réduction des effectifs, réorganisation des services, notamment des services déconcentrés de l’État. On parle souvent d’un modèle français de la fonction publique. Or, il apparaît plutôt que la France ne sait pas se décider sur le modèle de fonction publique qu’elle souhaiterait mettre en place. A cet égard, la loi du 6 août 2019 ne déroge pas à la règle.
Quels impacts peut-elle avoir sur l’emploi public ?
La question du sens de la fonction publique est absolument centrale pour réformer l’emploi public. Tant que cette question n’est pas franchement posée, les choses ne peuvent évoluer qu’à la marge. A quoi assiste-t-on depuis trois décennies ? Dégradation des conditions de travail des agents, gel de l’indice salarial, pression sociale accrue de la part des usagers, pression du management également à la hausse, manque de reconnaissance de la part de la hiérarchie, mal-être au travail : le diagnostic est inquiétant. L’attachement des agents à la mission de service public est encore très prégnant. Mais il commence à s’émousser. Avec pour risque, à court terme, de recruter en masse des gens qui n’entreront dans la fonction publique que pour la garantie de l’emploi et du salaire. La qualité des recrutements va devenir cruciale.
De quoi les agents ont-ils besoin ?
D’une reconnaissance tangible de leur mérite, d’une plus grande fluidité des parcours professionnels avec des opportunités de mobilité entre les services et les métiers, d’une plus grande autonomie.
Le statut est-il en cause ?
Le statut est garant de la neutralité de l’action publique et du maintien d’une certaine cohésion sociale. Il protège à la fois les agents et les usagers.
Nous assistons à une division grandissante du travail.
Ce qui pose problème, ce n’est pas le statut, mais le corporatisme de la fonction publique d’État. Les corps empêchent la mobilité entre les trois versants de la fonction publique et sont des facteurs de relégation sociale. Nous assistons en effet à une division grandissante du travail, à une partition de plus en plus marquée entre d’un côté une fonction publique de cadres au niveau de l’État qui décide de tout et impose ses lois, et de l’autre une fonction publique territoriale de terrain, composée en majorité d’ouvriers et d’employés qui finissent par se sentir relégués en marge du système. Emmanuel Macron avait annoncé vouloir supprimer l’ENA. Mais la réforme des écoles n’a de sens que si l’on supprime le système des corps, très hiérarchisé. Ça n’a pas été fait. Or, ç’aurait été une vraie bouffée d’oxygène pour la diversification des recrutements et des carrières.