Faire carrière dans la fonction publique : des parcours de mobilité à petits pas
Interne, externe, horizontale, verticale, volontaire ou non, la mobilité dans l’emploi public est devenue une injonction politique. Mais sa traduction dans les pratiques reste timide.
Il aura fallu attendre les années 2000 pour faire entrer la notion de mobilité dans le champ lexical de la fonction publique. Élément clé de cette évolution, la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels a acté la reconnaissance d’un “droit à la mobilité” pour des fonctionnaires, désormais autorisés à “construire un parcours professionnel cohérent et enrichissant qui réponde à leurs aspirations personnelles et aux besoins des services”. « Peu à peu, les réformes successives sont venues encourager l’horizontalité au sein d’une vision des ressources humaines marquée par la verticalité d’organisations propres à chaque administration. Plusieurs instruments sont ici actionnables, de la mutation à la mise à disposition, en passant par le détachement, l’intégration directe, les concours », remarque Olivier Dupont, directeur du secteur public national au sein du cabinet de conseil Sémaphores.
Reconnaissance des acquis de l’expérience
Souci de diversification oblige, l’administration a créé dès 2005 le PACTE (parcours d’accès aux carrières de la fonction publique territoriale, hospitalière et de l’Etat) et cherche depuis 2007 à mieux prendre en compte la reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle (RAEP), dispositif d’adaptation du contenu des concours et des modalités d’évaluation des candidats à l’entrée dans la fonction publique et à la promotion interne. En 2017, des épreuves de RAEP ont été proposées dans le cadre de 208 concours et processus de promotion. L’État a de nombreuses raisons d’en appeler à davantage de mobilité. Il s’agit en effet de répondre à d’importants besoins en compétences dans la fonction publique, de satisfaire les souhaits des fonctionnaires, de proposer des parcours variés pour renforcer l’attractivité des employeurs et attirer les meilleurs profils, de décloisonner les différents corps, versants, services afin de faciliter le brassage des parcours et diversifier les effectifs en place.
Un gap entre les discours et la réalité
Face à cette volonté réformatrice, les ancrages culturels persistent. Et rien n’est moins simple que de faire coexister deux logiques, celle d’un arrimage au corps ou à l’administration d’origine et celle d’une gestion dynamique des parcours. « Il y a les discours et il y a la réalité. Au-delà des incitations et des outils, l’accompagnement des agents publics dans leur mobilité reste très lacunaire. La fonction publique territoriale est certes un peu en avance sur la fonction publique d’État. Mais dans l’une comme dans l’autre, la mobilité relève essentiellement de l’initiative de l’agent et émane très rarement d’une proposition managériale. En fait, la mobilité est autant encouragée dans les textes que découragée dans la pratique », poursuit Olivier Dupont. La gestion des affectations doit donc être repensée, pour mieux répondre aux besoins des usagers, combler le déficit d’attractivité de certains territoires et emplois, mieux anticiper les besoins en ressources humaines des administrations.
Un dixième des agents change de poste dans l’année
Qu’en est-il dans les faits ? En 2017, près de 10 % des agents de la fonction publique ont changé de poste, dans le cadre d’une mobilité géographique (changement de lieu de travail), fonctionnelle (changement de fonction), ou structurelle (changement de ministère, de fonction publique ou départ vers le privé). Certains cumulant deux, voire trois de ces formes de mobilité. Dans la fonction publique territoriale, la question du maintien dans l’emploi est tellement prégnante, urgente et prioritaire, qu’elle met souvent en concurrence les mobilités contraintes et les mobilités choisies, au détriment de ces dernières. Dans la fonction publique d’Etat, où 40 000 fonctionnaires sont recrutés chaque année, 150 000 autres connaissent une mobilité géographique.
Gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences (GPEEC)
L’analyse des mouvements révèle deux facteurs d’achoppement : les mobilités spontanées se font au détriment des zones peu attractives ; le poids des critères d’ancienneté et de classement dans les affectations génère de réelles inégalités de fait. Les demandes ciblent en effet en priorité le sud et l’ouest de la France.
L’accompagnement des mobilités reste très lacunaire.
Conséquence : une distorsion entre les souhaits de mobilité, importants, les mobilités effectives, moins nombreuses, et les besoins des usagers. Les zones peu attractives et les emplois aux conditions d’exercice difficiles concentrent un trop plein de postes à pourvoir, que l’administration tente de réguler en y affectant de nouveaux fonctionnaires, plus jeunes, sans expérience. Des solutions existent, qui permettraient de fluidifier les mouvements : réforme de l’indemnité de résidence, élargissement des zones d’affectation, réduction du nombre des corps et des régimes indemnitaires ou encore un recours plus massif au télétravail, dont la période récente a montré qu’il était plus lourd à mettre en œuvre dans le public que dans le privé. Dans un souci d’allègement de procédures parfois lentes, la suppression de l’avis obligatoire des commissions administratives paritaires est une autre piste souvent évoquée. Surtout, le développement d’une gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences (GPEEC) dans les trois fonctions publiques apparaît comme une priorité absolue, car elle constitue la colonne vertébrale de tout système de mobilité organisé et pérenne, quelles que soient les mesures et dispositions légales susceptibles d’être prises au gré des réformes.