Confirmer les principes, adapter les missions
Face aux enjeux démographiques, sanitaires et sociaux qui traversent la société française, la fonction publique doit se réformer. Sans remettre en cause les principes fondateurs des services délivrés, ni la motivation des agents à remplir une mission essentielle à la cohésion sociale.
Un pays peut subsister sans gouvernement, mais pas sans administration publique. De fait, aucun pays au monde n’a totalement privatisé la prestation de services publics. Et aucune administration publique ne fonctionne comme une entreprise privée. Si leur poids relatif et leur rôle effectif varient d’un État à l’autre, les services publics sont un élément essentiel à tout système de gouvernement. En France, ils occupent une place centrale dans la société, portés par 5,5 millions d’agents qui interviennent au quotidien dans la vie de nos concitoyens. Qu’ils soient enseignants, médecins, infirmiers, aides-soignants, pompiers, gendarmes, policiers : 90 % des agents publics travaillent en contact direct avec la population. Les Français le savent et leur en sont reconnaissants. Des études régulièrement menées témoignent de leur solide attachement aux missions de service public.
La réforme doit s’envisager dans une logique d’anticipation.
Attachement au rôle et aux missions, mais jugement plus critique sur la structure. L’« hyper-structure », pourrait-on même dire. Car s’il est un terme qui caractérise l’administration française dans son organisation et son fonctionnement, c’est bien celui de complexité. La fonction publique est composée de trois versants : fonction publique d’État (FPE), fonction publique territoriale (FPT) et fonction publique hospitalière (FPH). A l’intérieur de ces grandes familles, une nébuleuse d’employeurs : services civils et militaires de l’État, conseils régionaux, conseils départementaux, communes, intercommunalités, établissements publics nationaux et locaux à caractère administratif, hôpitaux publics, maisons de retraite et autres établissements sociaux et médico-sociaux.
Pas moins de 400 corps et statuts dans la fonction publique
Cette sophistication de l’organisation déteint sur le système d’emploi. Chaque fonctionnaire appartient à un “corps” et relève d’un “statut” ou encore d’un “cadre d’emploi”. Malgré les velléités récurrentes de simplification du système, on compte encore près de 400 corps et statuts dans la fonction publique (dont 300 dans la FPE), répartis au sein de trois « catégories » : A (l’équivalent des cadres dans le secteur privé), B (les professions intermédiaires) et C (les ouvriers et employés). A quoi vient s’ajouter de facto – car elle n’a pas d’existence juridique – une quatrième catégorie A+, désignant les corps dont les agents ont vocation à occuper des emplois de direction. Ils étaient 127 000 fin 2017 dans l’ensemble des trois fonctions publiques (dont 84 000 enseignants des universités et chercheurs). Certes, la luxuriance de ce paysage renvoie à l’étendue des missions recouvertes, à la multiplicité des métiers exercés et à la diversité des profils engagés. Mais on peut légitimement se demander si elle répond aux besoins d’agilité d’une société traversée par des mutations de plus en plus profondes et fréquentes. L’emploi public est-il suffisamment agile pour répondre, conformément à sa tradition, à l’exigence de cohésion nationale ? Face à une population qui vieillit, à un système d’enseignement qui peine à cimenter l’égalité, à des institutions de solidarité prises en défaut par l’accroissement des besoins, à une police et une justice enkystées par un manque substantiel de moyens, à un système de santé à bout de souffle, les services publics, éléments indispensables de solidarité, d’intégration, d’autorité, doivent se réformer.
Pour un emploi public davantage à l’image de la société
Bien qu’il fédère un cinquième des actifs, l’emploi public n’est pas à l’image de la société française. Prédominance de certains cursus de formation, surreprésentation des enfants de fonctionnaires, relative fermeture aux descendants d’immigrés, taux d’emploi de personnes handicapées en-deçà de l’objectif, persistance des inégalités en défaveur des femmes, qui, majoritaires parmi les fonctionnaires, deviennent très minoritaires dans les strates supérieures d’encadrement. Pour répondre pleinement à leur mission, les services publics doivent d’abord être incarnés par un corps social représentatif de la population. Cela passe par un gros effort de diversification dans les processus de formation, de recrutement et de promotion des carrières. La modernisation de l’emploi public passe également par la simplification des organisations et des règles de fonctionnement. Les agents ont besoin de davantage de mobilité, d’implication dans les décisions, de responsabilisation et d’autonomie. Mais la réforme ne peut se réduire au seul examen des dépenses de personnel. Elle doit s’envisager dans une logique d’anticipation, en prenant en compte les transformations démographiques, économiques, sociales et culturelles de la société. Ainsi que la dimension d’incertitude qui les sous-tend. Faute de quoi, ses répercussions sur l’exécution des missions, la pertinence des métiers, les conditions de travail des agents pourraient vite s’avérer plus que dommageables. Surtout, un message politique polarisé sur la rationalisation des effectifs et faisant abstraction de la motivation et de l’engagement des personnels, altérerait par effet de ricochet l’attractivité de l’emploi, la qualité des recrutements et enfin la solidité du corps social public. Gare, donc, à la double obsession technique et comptable. L’emploi public n’en a pas besoin. La qualité du service public encore moins.