Etats-Unis : Etats-Unis et reconnaissance faciale : la désillusion ?
Au pays des géants du numérique, la reconnaissance faciale est banalisée. Mais les polémiques récurrentes font émerger un courant critique, depuis San Francisco et IBM jusqu’au Congrès.
Profitant d’un cadre législatif flou, la reconnaissance faciale se faufile partout aux Etats-Unis, depuis les rangs des forces de l’ordre où elle est utilisée depuis longtemps, jusqu’aux guichets des aéroports, à l’entrée des concerts et dans certains magasins. Les polémiques sur son usage quasi-orwellien sont légion. En janvier dernier, une enquête du New York Times révélait que la société américaine Clearview avait conçu un logiciel de reconnaissance faciale en pillant sur les réseaux sociaux des milliards de photos à l’insu de leurs propriétaires avant de vendre cet outil à plusieurs services de police.
IBM, Amazon et Microsoft suspendent leur vente à la police.
Quelques mois plus tôt, en juillet 2019, le FBI était rappelé à l’ordre pour avoir utilisé une base de données de 641 millions de photos de permis de conduire d’Américains dans le cadre de ses enquêtes, sans en avoir informé le Congrès et les citoyens concernés. Dernière controverse en date : les biais raciaux des algorithmes de reconnaissance faciale, peu fiables sur les visages noirs et donc créateurs de discriminations policières. La mort de George Floyd, un citoyen américain noir, lors de son interpellation par la police en mai 2020, et le mouvement BlackLivesMatter qui a suivi, ont conduit IBM, Amazon et Microsoft à des décisions radicales : la suspension de la vente de leurs logiciels de reconnaissance faciale aux forces de l’ordre. Pour Arvind Krishna, PDG d’IBM, « le moment est venu de démarrer un dialogue national pour savoir si et comment les technologies de reconnaissance faciale doivent être utilisées par les forces de l’ordre ».
San Francisco et Boston font marche arrière
Certaines villes font également marche arrière. San Francisco, berceau de la haute technologie, est devenue la première ville américaine en mai 2019 à interdire la reconnaissance faciale à ses services de police et à la municipalité. « La propension de cette technologie à mettre en danger les libertés civiles surpasse substantiellement ses bénéfices supposés. La technologie va exacerber les injustices raciales et menacer notre capacité à vivre libres de la surveillance permanente du gouvernement », argumente le texte du décret municipal. Depuis, d’autres villes ont suivi, comme Oakland, Sommerville ou Boston en juin 2020.
Vers un moratoire fédéral ?
Ce mouvement critique atteint l’Etat fédéral. En février 2020, deux sénateurs, Cory Booker et Jeff Merkley, ont déposé une proposition de moratoire de l’usage de la reconnaissance faciale pour toute entité fédérale ou locale (services de police, renseignement, police aux frontières), jusqu’à ce qu’un cadre législatif clair soit mis au point. Cory Booker craint en effet que cette technologie ne « prive les citoyens d’un niveau raisonnable d’anonymat », « affecte les minorités ethniques » et « entrave la liberté d’expression ». « Le Congrès doit établir des règles pour un usage responsable de cette technologie par les forces de l’ordre », selon l’élu démocrate. Pour Jeff Merkley, l’encadrement est urgent, « avant que ce marché non régulé ne devienne trop gros pour être maîtrisé ». Le débat est donc lancé aux Etats-Unis. Mais il se limite pour l’instant à l’usage sécuritaire de cette technologie, occultant son utilisation, certes plus discrète, dans les magasins, les stades, et sur les réseaux sociaux.