Un enjeu brûlant de souveraineté technologique
Contrairement à ses concurrents, la France évolue dans un cadre réglementaire européen strict, particulièrement protecteur pour les citoyens. Au risque d’être à la traîne ?
Chercheurs et universités de grande qualité, entreprises parmi les meilleures du monde (Idemia, Gemalto ou Thalès en tête) : la France possède des atouts indéniables dans la course de la reconnaissance faciale. Ces acteurs évoluent néanmoins dans le cadre européen particulièrement protecteur du règlement général de protection des données personnelles (RGPD). Concrètement, alors que les algorithmes de reconnaissance faciale nécessitent une grande quantité de données, le RGPD leur interdit par exemple « d’utiliser des bases d’images recueillies à l’étranger sans le consentement des personnes concernées, ou de conserver, après la fin de leurs études, des bases d’images recueillies de façon licite », souligne le député Didier Baichère, auteur d’un rapport (juillet 2019) pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Soit « un véritable frein au développement de ces algorithmes en France et en Europe », avance le député selon lequel cela « ne permet pas aux acteurs français d’être compétitifs sur la scène internationale ».
Les gigantesques « banques de visages » des GAFAM
En face, les géants du numérique, GAFAM américains et BATX asiatiques (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), ne s’encombrent pas de scrupules et constituent de gigantesques bases d’images quasiment sans contrainte réglementaire. Facebook engage ainsi chaque jour ses 2 milliards d’utilisateurs actifs à « taguer » leurs photos avec les noms de leurs « amis ». De quoi alimenter sa colossale banque de visages et son système de reconnaissance faciale, DeepFace. Google aussi dispose de son algorithme de reconnaissance faciale FaceNet de Google Photos, capable d’identifier, de nommer, de classer et de localiser d’innombrables personnes présentes sur les albums des internautes. Amazon n’est pas en reste avec son service Rekognition, alimenté par plusieurs « dizaines de millions de visages » détenus par l’entreprise.
Faut-il assouplir le cadre ?
En bref, pour préserver sa souveraineté, la France devrait « étudier la possibilité de mettre en place des dispositions de droit européen ou national permettant de mobiliser les dérogations prévues par le RGPD », selon Didier Baichère. Pourtant, alors que certains géants du numérique, comme Microsoft, demandent avec force une régulation de la reconnaissance faciale au législateur américain, le RGPD et la réflexion éthique européenne sont peut-être, justement, les domaines dans lesquels l’Europe et la France pourraient bien avoir une longueur d’avance.
Reconnaissance faciale et défense : quel usage éthique ?
« Les prochaines armes d’infanterie pourraient disposer de technologies de reconnaissance faciale », titrait le site spécialisé Military.com en juin dernier. En effet, l’armée américaine a récemment invité les entreprises de défense à imaginer « des prototypes de systèmes de commandes de tirs équipés de technologie de reconnaissance faciale ». En France, le sujet n’est pas aussi avancé. Récemment mis en place, un comité d’éthique sur les sujets de défense est chargé, avec l’agence d’innovation de la Direction générale de l’armement, de mener une réflexion sur l’usage de la reconnaissance faciale par l’armée.