Un cadre législatif français encore bien trop flou, à repenser d’urgence
Face au développement de cette technologie, un nouveau compromis doit être trouvé pour défendre les libertés fondamentales.
L’image de notre visage appartient aux données biométriques, c’est-à-dire aux caractéristiques physiques ou biologiques permettant d’identifier une personne. Des données classées « sensibles » par l’Union européenne qui en interdit le traitement via deux textes de référence : le règlement général sur la protection des données (RGPD) et la directive « police-justice ». Néanmoins, deux exceptions existent : si l’on recueille le consentement des citoyens concernés, comme le font certains appareils connectés, ou encore en cas de « nécessité publique ». Ainsi, en France, la loi Informatique et libertés spécifie qu’il est possible d’exploiter l’image de visages sur le fondement d’un décret pris en Conseil d’Etat, après avis motivé de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Un cadre « rigide », soutiennent certains, notamment les industriels qui prônent son assouplissement afin de rester dans la course de l’intelligence artificielle face à la Chine et aux Etats-Unis. Des élus défendent également l’utilité sécuritaire de la reconnaissance faciale, et considèrent son développement inéluctable. Du côté des chercheurs enfin, nombreux sont les défenseurs d’une légalisation des expérimentations à grande échelle afin de tester les avantages et limites de cette technologie.
« Les expérimentations ont déjà lieu », réplique Caroline Lequesne Roth, maîtresse de conférence en droit public à Nice, pour laquelle le cadre français est au contraire « plutôt léger » : « Un décret du Conseil d’Etat suffit à autoriser la reconnaissance faciale, et les exceptions sont formulées de manière large, ce qui permet d’envisager une kyrielle d’usages.
L’offre des industriels se développe, et les demandes augmentent.
D’où les appels répétés au législateur à clarifier le régime d’application de cette technologie ». La CNIL réclame en effet depuis longtemps que le cadre légal soit complété et doté de garde-fous. En effet, l’offre des industriels se développe, tout comme les demandes des services de sécurité et des collectivités, sans parler des Jeux olympiques de 2024, organisés en France, et terrain d’application idéal pour les technologies de reconnaissance faciale.
Penser la démocratie technologique
« Aujourd’hui, les décisions de justice portant sur la reconnaissance faciale ne posent pas les choses juridiquement », regrette Caroline Lequesne Roth, également directrice de la Fablex, une unité de recherche en droit qui travaille sur les nouvelles technologies. Ainsi, le tribunal administratif de Marseille a affirmé en février dernier que l’usage de portiques de reconnaissance faciale dans les lycées de la région n’était pas conforme au RGPD, « mais l’argumentaire a porté sur le consentement, et non sur l’idée de « nécessité publique » sur laquelle il faudrait pourtant réfléchir ». Comment rénover le cadre français ? « Une interdiction pure et simple pourrait se retourner contre nous, avec demain des risques d’usage « sauvage » de cette technologie », prévient Caroline Lequesne Roth qui défend une position de compromis avec un aménagement plus poussé des exceptions et un renforcement juridique de celles-ci. « Par exemple, il n’y a actuellement aucune distinction entre le processus d’identification et d’authentification (voir p. 6/7), deux usages qui n’impliquent pas les mêmes risques en termes de libertés fondamentales ». Prudence néanmoins. « Au nom de la sécurité, l’usage massif de la reconnaissance faciale peut arriver rapidement », prévient la juriste. Face au potentiel inédit de surveillance porté par cette technologie, un débat de société s’impose.