Les technologies de reconnaissance faciale : crainte, enthousiasme, fantasme… et réalité
Entraînée par les progrès de l’intelligence artificielle, la reconnaissance faciale devient de plus en plus performante. Suscitant à la fois craintes et enthousiasme, elle soulève de nombreux enjeux. Quelle est-elle précisément ?
« Tant que Winston demeurait dans le champ de vision de la plaque de métal, il pouvait être vu aussi bien qu’entendu. Naturellement, il n’y avait pas moyen de savoir si, à un moment donné, on était surveillé » : la reconnaissance faciale évoque immanquablement la dystopie visionnaire de Georges Orwell, 1984 et son effrayant Big brother. Elle est pourtant utilisée dans plusieurs pays, dont la France, et pourrait faire partie de manière croissante de notre quotidien.
Extraire du visage une signature
En bref, la reconnaissance faciale consiste à analyser les visages pour reconnaître automatiquement une personne. Pour y parvenir, « la première étape est de réaliser un gabarit – une sorte de signature – du visage », introduit Jean-Luc Dugelay, professeur à l’école d’ingénieurs Eurecom, à Sophia Antipolis. Une tâche que réalise l’intelligence artificielle (IA) grâce à l’apprentissage profond, « sans que l’on sache très bien comment la machine opère », explique-t-il.
Authentifier ou identifier : des enjeux éthiques différents
A partir de ce gabarit, deux opérations sont possibles, avec des impacts bien différents sur le respect de la vie privée ou la protection de l’anonymat. D’une part, il est possible d’authentifier une personne, c’est-à-dire vérifier qu’elle correspond à ce qu’elle prétend être, en comparant son image avec celle de son passeport par exemple, comme le font certains aéroports, mais aussi des banques ou des mécanismes de déverrouillage de téléphones.
L’imaginaire puissant lié à cette technologie crée des fantasmes.
Ici l’identité est donnée en amont. L’autre usage de la reconnaissance faciale, plus sensible, consiste à identifier une personne, c’est-à-dire à retrouver son identité à partir d’une image, en la comparant avec plusieurs autres réunies dans une base de données, comme le font certains portiques de sécurité ou des caméras chargées de repérer quelqu’un dans une foule. Réfléchir aux enjeux éthiques de la reconnaissance faciale nécessite de distinguer ces deux usages.
Une technologie fantasmée, mais encore imparfaite
Ces dernières années, les avancées de l’IA et l’augmentation spectaculaire de la résolution des images ont fait bondir les performances de la reconnaissance faciale. De quoi susciter l’enthousiasme de certains sur cette technologie, dont les progrès ne devraient pas s’arrêter là. On parle déjà des images 3D ou des nouvelles caméras thermiques, générant des gabarits basés sur la chaleur émise par le visage, avec « l’intérêt qu’ici l’éclairage n’a plus d’importance : on peut même reconnaître une personne de nuit ! », souligne Jean-Luc Dugelay. Prudence néanmoins. L’imaginaire puissant lié à cette technologie, alimenté par de nombreux films ou romans, crée également des fantasmes. En effet, à son stade actuel, la reconnaissance faciale pose encore de nombreuses difficultés. « Avec l’apprentissage profond sont apparus des problèmes imprévus », explique Jean-Luc Dugelay. Tout d’abord les biais, qui font, par exemple, que les personnes noires et les femmes sont moins bien reconnues. Pour y remédier, diversifier davantage les bases de données ne suffira pas, car « les femmes, par exemple, sont plus difficiles à reconnaître en raison de leur plus forte variabilité : ainsi, certaines portent parfois du maquillage, parfois non », note Jean-Luc Dugelay.
Plus performante, mais aussi plus fragile
Autre problème : si l’IA a boosté la reconnaissance faciale, elle l’a aussi fragilisée. En effet, les technologies antérieures à l’apprentissage profond disposaient d’algorithmes robustes, contrairement aux technologies actuelles, certes plus performantes, mais également, paradoxalement, plus fragiles. En bref, les nouveaux logiciels sont sensibles aux « attaques adverses », ce « phénomène étonnant par lequel une petite faille (quelques pixels erronés par exemple), déstabilise complétement l’algorithme », développe Jean-Luc Dugelay. Dernier enjeu : le phénomène des « boîtes noires », c’est-à-dire le fait que les machines donnent de bons résultats sans que l’homme ne sache expliquer comment. Comprendre le « chemin » emprunté par l’algorithme est un défi de taille. Partie prenante de notre quotidien, la reconnaissance faciale n’est certes plus un objet de science-fiction, mais il lui reste néanmoins à faire ses preuves.