« Il est indispensable de faire entrer les citoyens dans les instances de gouvernance »
Il n’apparaît pas toujours facile de dissocier le secteur marchand du secteur non marchand, le premier étant aussi souvent bénéficiaire de subventions publiques ?
Je m’exprime sur les structures soutenues par les institutions publiques, l’industrie existe mais elle relève d’une autre réflexion. Bien sûr, il y a une porosité entre les deux, l’industrie du livre, par exemple, bénéficie du prix unique, sans cette politique publique, les librairies auraient sans doute disparu. Et on peut aussi parler de continuum entre l’artiste et la distribution, le premier bénéficiant de financements qui de fait bénéficient aux acteurs privés. Pour autant, le point de départ du secteur non marchand repose sur les missions de ces institutions. Une entreprise est guidée par la rentabilité, ce n’est pas le cas des structures non marchandes qui ont une mission d’intérêt général, le public.
Pour autant, vous conseillez au secteur d’incorporer des principes marchands.
Non, le secteur non marchand doit s’appuyer sur des principes de gestion, l’institution culturelle est une organisation et à ce titre, elle a besoin d’une réflexion de nature stratégique s’appuyant sur des principes de marketing au service de l’institution. Mais il n’est pas question d’appliquer bêtement le management appris en école de commerce car les musées ne sont pas des entreprises commerciales.
Travailler pour le public exclu est un alibi pour ne pas se poser les bonnes questions.
Ces outils doivent être utilisés pour faire des choix éclairés. Les dérives commerciales existent. Est-ce que l’utilisation de BlogBooster qui vise à renforcer la fréquentation d’un blog n’a pas pour effet de limiter progressivement le cœur de cible et donc d’éloigner l’institution de sa mission première ?
Pour revenir à la mission première de ces institutions, que se passe-t-il du côté du public ?
On ne peut pas dire que rien ne change, la fréquentation des musées d’art contemporain augmente par un effet conjugué de l’augmentation du tourisme mais aussi du public plus généralement. Simplement, si les choses changent, c’est avant tout parce que la société change, les gens sont mieux formés : le principe déterminant de la fréquentation est l’éducation. Pour autant, l’ouverture aux autres classes sociales n’a pas bougé : on comptabilise 1 % d’ouvriers au Louvre ! Pour quelles raisons ? Ni les institutions, ni le ministère, ni les collectivités qui sont démunies, ne quantifient la réalité et ne définissent d’objectifs. Les structures culturelles ont trouvé la parade en travaillant sur des opérations spécifiques pour un public exclu. Un alibi qui peut devenir un risque de stigmatisation. Enfin, du côté des artistes, les logiques corporatistes priment.
C’est pourquoi vous militez pour une représentation des citoyens ?
En effet, le changement doit venir des citoyens. Il est nécessaire de faire entrer dans les organes de gouvernance des institutions des représentants des habitants. Pour le moment, les gens ne manifestent pas contre la culture bien que ce soient eux qui la financent mais le secteur n’est pas à l’abri d’une réaction à l’image des gilets jaunes. Il ne faut pas dresser un portrait totalement noir du secteur : partout, sur les territoires, des artistes et des compagnies travaillent avec les habitants. Ils sont les points d’appui de cette nécessaire transformation. Premiers à souffrir des effets de la pandémie, ils doivent être renforcés au risque d’un lien social distendu. Pour finir par une note optimiste, pendant le confinement, les acteurs de la culture ont réfléchi ensemble, ce fut un moment où les champs de réflexion se sont ouverts.