Financements publics : il faut sortir des logiques de silos
Les acteurs culturels déplorent un fléchage des ressources publiques sur les grands acteurs et les grands événements. Des pistes de diversification se dessinent ou restent à imaginer.
« Sites remarquables du goût », centres culturels de rencontres, label Diversité… nombreux sont les labels attribués par l’État, et ceux-ci concentrent la plupart des financements du ministère. Pour Françoise Benhamou, professeure des universités, membre du Cercle des économistes, « l’État a une politique culturelle globale et si au niveau du discours, il est très présent, dans la réalité, il est amené à reconduire ses subventions d’année en année en priorité aux établissements nationaux ». Le financement public a donc pour effet de renforcer les silos entre secteurs. « Les logiques financières sont très verticalisées par secteur et niveau d’intervention et ne favorisent pas des démarches par projets », reconnaît Francis Gelin. « Il est nécessaire, comme nous avons pu le faire durant la période de confinement, de s’interroger sur les dispositifs financiers publics en se demandant notamment comment les jeunes artistes sont soutenus aujourd’hui : il faut trouver de nouveaux points d’équilibre », rajoute le directeur de l’agence culturelle Grand-Est.
Fragilités des financements
Les financements publics se partagent entre les collectivités (8,6 milliards d’euros), le ministère de la Culture (3,5 milliards d’euros), soutien complété par celui des autres ministères à hauteur de 4,2 milliards d’euros. Les acteurs culturels s’inquiètent d’une baisse des financements, avec l’annonce des restrictions sur les budgets locaux. Du côté des financements privés, le mécénat poursuit sa croissance tout en restant encore très secondaire. Selon le dernier baromètre d’Admical (Association pour le développement du mécénat industriel et commercial) de 2018, la part du budget total du mécénat (3 milliards d’euros) consacré par les entreprises à la culture est en forte augmentation, passant de 10 % en 2015 à 25 % en 2017. Ce sont 38 % des entreprises mécènes qui se tournent vers la culture en 2017 ; ce qui représente un quart du budget global qui reste modeste (près de 3 millions d’euros). Ce qui est à noter en 2017, c’est la forte croissance de ces proportions depuis 2015 (la part des entreprises comme la part du budget ayant augmenté de 10 points). L’utilisation de la culture pour renforcer l’attractivité d’un territoire reste la première motivation des mécènes culturels (55 % ont cité cette raison, alors qu’ils n’étaient que 40 % à le faire en 2015).
À la recherche d’une diversification des financements
Une autre source de financement augmente : le financement participatif. En 2017, les plateformes de dons ont collecté près de 83 millions d’euros. « Si en général, ces soutiens concernent des petits projets pour de petites sommes, ce financement permet de réaliser un projet qui n’a très souvent pas prétention à un développement international », analyse Philippe Henry.
Renforcer la mutualisation des résultats du secteur est une piste.
Pour le chercheur en socio-économie de la culture, la solution pourrait passer par un renforcement de la mutualisation des résultats du secteur. Cela signifie une plus forte redistribution entre acteurs culturels, car les taxations fiscales du CNM (Centre national de la musique) et du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) sur la billetterie dont la vocation est redistributive restent modestes : 700 M€ pour le Centre national du cinéma, 50 M€ pour le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV) et 50 M€ à 8 M€ à l’Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP). Autre mécanisme à renforcer, le 1 % artistique. Un pour cent du coût d’une construction publique est consacré à la commande ou à l’achat d’œuvres d’art à des artistes vivants et à leur installation dans ledit bâtiment. En juin dernier, le Sénat a appelé à une réforme du 1 % artistique « car son efficacité est aujourd’hui réduite en raison de l’absence de sanctions lorsqu’il n’est pas respecté ».
Pour de nouvelles mesures fiscales
Demander l’exonération de la TVA à l’importation pour les œuvres produites à l’étranger par des artistes français, lors de séjours, résidences ou foires, fait également partie des dispositions attendues. Autre piste, le crédit d’impôt. Le Palais du Luxembourg avait milité pour un élargissement de cette déduction sur l’impôt (aujourd’hui réservé aux entreprises soutenant des artistes émergents dans le spectacle vivant musical) à l’ensemble du spectacle vivant. À court et à moyen terme, l’après-Covid risque d’être désastreux pour les petites structures. Et les nombreux plans de soutien annoncés sauront-ils suffire ? « On peut espérer qu’un certain nombre de petites manifestations continuent d’exister car les élus locaux savent qu’elles sont un enjeu à la cohésion sociale de leur territoire », espère Jean-Michel Tobelem, docteur en sciences de gestion, professeur associé à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, directeur d’Option Culture.
Pandémie : « des risques de trous dans la raquette »
Aux mesures gouvernementales spécifiques aux secteurs les plus touchés s’ajoutent des initiatives locales portées par les collectivités. Les régions ont été fortement mobilisées, certaines participant au plan national pour la relance, d’autres créant leur propre dispositif général et, enfin, certaines adoptant un plan spécifique au secteur culturel.
Ensuite, les autres collectivités – département et bloc communal – ont pris des initiatives, la plus courante ayant été de maintenir les subventions au secteur. Des initiatives diverses et contrastées qui risquent de provoquer de véritables déséquilibres entre secteurs et territoires : certaines régions qualifiées de pays de cocagne, d’autres de désert culturel.