Le casse-tête de la neutralité carbone organisé sous haute surveillance
Trois lois en moins de cinq ans, une programmation pluriannuelle de l’énergie, une stratégie nationale bas-carbone. Le chemin a été long pour parvenir à un objectif de neutralité carbone en 2050. Et neutralité carbone ne signifie pas la fin totale des émissions carbonées.
En pleine crise sanitaire, la ministre chargée de l’énergie Elisabeth Borne a réaffirmé son ambition de mener à bien la transition écologique, et donc la transition énergétique vers un monde largement décarboné. Il aura fallu néanmoins un parcours du combattant avant de parvenir à cet objectif de neutralité carbone, c’est-à-dire pas d’émissions de carbone qui ne puissent être compensées par des absorptions de carbone (notamment par les arbres/plantes). Fort de la loi sur l’énergie et le climat, rendue nécessaire par le changement d’échéance pour réduire à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique français (2035, contre 2025 prévu initialement par la loi de transition énergétique pour la croissance verte – LTECV – de 2015), le gouvernement en a profité pour renforcer les objectifs en matière de décarbonation de l‘économie.
SNBC et PPE sont deux outils complémentaires.
Il a fallu s’y reprendre à deux fois, la première mouture, qui visait à une division par quatre des rejets carbonés, n’allant pas assez loin, estimaient de nombreuses associations environnementales. Après de longs débats, la loi énergie-climat de 2019, publiée en 2020, prévoit une division par six des émissions carbonées françaises, afin de parvenir à la « neutralité » carbone… Mais toujours pas « sans carbone émis » en France.
La neutralité carbone, pas de réduction à zéro
Dans les termes de l’accord de Paris, la neutralité carbone est entendue comme l’atteinte de l’équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre et les absorptions anthropiques (c’est-à-dire les absorptions par les écosystèmes gérés par l’homme tels que les forêts, les prairies, les sols agricoles et les zones humides, et par certains procédés industriels, tels que la capture et le stockage du carbone ou CSC). La stratégie nationale bas-carbone (SNBC) établit ainsi un classement par secteur des objectifs à décliner, en tenant compte des « impossibilités » avec les technologies actuellement connues de réduction dans l’industrie et l’agriculture. Certains process industriels ne peuvent en effet totalement se passer de matières premières carbonées (pétrole, méthane, charbon), car elles ne sont pas utilisées comme sources d’énergie et ne peuvent donc être remplacées par des vecteurs (électricité et hydrogène ne sont pas des sources d’énergie, il faut les produire) ou avec des énergies non-fossiles. En outre, l’agriculture, et plus particulièrement l’élevage (avec des émetteurs de méthane, un gaz à effet de serre 36 fois plus puissant que le CO2), joue aussi un rôle en matière d’absorption, grâce à la pousse des plantes et donc à la photosynthèse. Néanmoins, cet objectif de neutralité carbone ambitieux est partagé par seulement un tiers des pays au monde. Au niveau international, la France s’est engagée, avec les autres pays européens, à réduire les émissions de l’Europe de 40 % en 2030 par rapport à 1990 dans le cadre de l’accord de Paris signé lors de la COP 21, en 2015.
Deux outils pour parvenir à l’objectif
Cet objectif peut s’appuyer sur deux outils de la loi LTECV de 2015. D’une part, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui vise à définir le mix énergétique sur un horizon de 10 ans. Une PPE qui vise notamment à l’efficacité énergétique et au développement des énergies renouvelables, tout en réduisant la part des combustibles fossiles, contribuant ainsi à réduire les émissions carbonées. D’autre part, la SNBC, qui planifie la réduction des GES jusqu’en 2050. La SNBC fixe, pour y parvenir, trois premiers budgets carbone jusqu’en 2028 (également échéance de la PPE), constituant des plafonds d’émissions à ne pas dépasser par période de cinq ans. La SNBC définit également une trajectoire avec une étape de réduction de 40% des GES en 2030 par rapport à 1990, qui reprend les engagements européens. Ces deux outils ont été présentés en janvier dernier et gravés dans le marbre de la législation en pleine crise sanitaire. Les travaux de la SNBC ont montré que l’objectif de neutralité carbone est plus ambitieux que l’objectif précédent de division des émissions de gaz à effet de serre par quatre entre 1990 et 2050. Il correspond en fait à une division des émissions par un facteur supérieur à six. En même temps que l’ambition de long terme a été renforcée, le bilan de la mise en œuvre de la SNBC sur la première période 2015-2018 a permis de constater que le premier budget carbone sera dépassé. Reste à voir avec la crise sanitaire comment ces chiffres vont évoluer, dans la mesure où le recul des émissions a été très marqué en mars, avril et mai de cette année… Et si rebond il y a, comment rester dans les clous.