Redessiner une nouvelle politique culturelle à l’ère du COVID
Imposant une remise à plat de la politique culturelle des institutions publiques, la pandémie pourrait se révéler une opportunité. Les collectivités et l’État devront définir ensemble une stratégie offensive répondant aux besoins des acteurs du secteur.
Selon le ministère de la Culture, l’impact du Covid-19 sur le secteur serait de 22,3 milliards d’euros, soit une perte de près de 25 % du chiffre d’affaires pour 2020. Fermeture des salles, annulation des festivals, jauges réduites : c’est bien entendu le monde du spectacle qui est le plus touché avec une perte estimée à 72 % en 2020, soit 4,2 milliards. Difficile de se limiter à ces données vu la complexité de ce secteur.
En 2018, la culture représente 2,5 % de l’ensemble de l’économie.
À une logique privée marchande où le profit est important, s’ajoute une logique publique construite sur l’intérêt général, avec des pouvoirs publics qui sont à la fois intervenants et régulateurs, et une troisième voie privée composée d’acteurs associatifs, qui n’a pas de but lucratif et qui se revendique comme indépendante tout en dépendant des ressources publiques. « Ces trois logiques sont simultanément en présence et ce tripode de logiques est différent selon les branches qui composent le secteur culturel », explique Philippe Henry, chercheur en socio-économie de la culture.
Une diversité de réalités
Les industries culturelles se déploient sur neuf marchés : les arts graphiques et plastiques, le spectacle vivant, la télévision, la musique, le cinéma, les jeux vidéo, la presse, la radio, les livres. Quant au secteur non marchand, il représente 85 % du secteur du patrimoine et de l’enseignement artistique et 61 % de la production dans le spectacle vivant. « Avec l’industrialisation de ce secteur et la montée en puissance des groupes dans les festivals, la politique publique doit être repensée pour préserver la diversité culturelle », estime Françoise Benhamou, professeure des universités. Pour Philippe Henry, cette complexité traversée de tensions est ce qui détermine la richesse de la culture.
Un secteur marqué par des fragilités
La production culturelle totale s’élève à 96 milliards en 2018, 79,6 milliards étant réalisés par le secteur marchand et 16,4 milliards par le secteur non marchand, selon une étude réalisée en mai 2020 par le département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la Culture. La culture emploie près de 635 700 personnes, soit prèsque 2,5 % de la population active. Alors que le nombre d’actifs a augmenté de 2 % depuis 2009, dans le secteur culturel, les effectifs ont progressé de 4 %. Le non-salariat a doublé entre 2007 et 2016 et les revenus qui y sont associés sont en moyenne plus faibles que dans les autres secteurs (hors agriculture). Dans les entreprises culturelles comme dans les associations, l’emploi salarié présente des particularités : volumes de travail moindres, emploi à temps partiel et fragmenté au cours de l’année. Et la part des salariés en contrats à durée indéterminée est plus faible. Enfin, la part du bénévolat est essentielle : l’effort global de participation bénévole dans les associations culturelles équivaut à 189 000 emplois.
Changer du tout au tout
Un secteur riche, dynamique et contrasté aujourd’hui submergé par la pandémie. Le moment est-il venu, comme l’ont appelé de leurs vœux en juin dernier des élus bretons, de réunir l’État et les collectivités pour lancer des expérimentations en matière de politiques culturelles ? Et de s’inspirer des initiatives des acteurs culturels développées depuis quelques années pour promouvoir de nouvelles façons de travailler collectivement ? La politique publique de soutien axée sur la création favorise une offre pléthorique au détriment de la consolidation des acteurs culturels. En juin dernier, un groupe de députés a présenté un projet de résolution visant à revoir de fond en comble la politique de soutien afin d’« ouvrir des financements sans préjuger des débouchés ». Sur le terrain, les collectivités, régions en tête, soutiennent la culture en s’appuyant sur le développement d’agences régionales et de filières sectorielles. Une stratégie qui, pour Philippe Henry, doit être suivie par l’État. « C’est en se désengageant de ses aides directes aux activités que l’État pourra entre autres renforcer les agences régionales chargées de mutualiser les moyens, de coordonner les acteurs, de réguler les filières, car ce sont ces initiatives qui doivent être aidées en priorité. »