Un big bang procréatif à l’œuvre : de la reproduction à la production de l’humain
Fait ancien, les techniques d’assistance médicale à la procréation connaissent depuis quelques décennies des évolutions fulgurantes, et viennent bouleverser la procréation. Un monde nouveau apparaît.
La nouvelle loi bioéthique ouvre, notamment, l’accès de l’assistance médicale à la procréation (AMP) à toutes les femmes. Une étape supplémentaire dans un mouvement plus large : le recours croissant à la technique pour avoir des enfants. Cette tendance de fond n’est pas nouvelle, la première insémination artificielle connue datant de 1791. Elle est proposée en Angleterre par un chirurgien à un couple dont l’homme souffrait d’une malformation génitale. Tout au long du XIXe siècle, ces inséminations artificielles sont réalisées avec plus ou moins de succès.
Aujourd’hui en France environ 1 enfant sur 30 est issu d’une AMP.
À la fin du XIXe a lieu la première grossesse par insémination de sperme d’un donneur. L’étape suivante est franchie au milieu du XXe : grâce à la congélation, on sait conserver le sperme, désormais stocké dans les premières « banques de sperme ». Mais c’est à la fin du XXe siècle que les choses s’accélèrent, avec une rupture nette : la naissance en 1978 en Angleterre de Louise Brown, premier « bébé-éprouvette », c’est-à-dire né d’une fécondation in vitro (FIV). Pour la première fois, la fécondation de l’ovule par le spermatozoïde sort du corps de la femme pour avoir lieu dans une éprouvette (puis l’embryon est implanté dans l’utérus). Un tournant majeur dans la dissociation entre procréation et sexualité. Quatre ans plus tard, en 1982, l’équipe française de Frydman, Papiernik et Testart renouvelle l’exploit : Amandine naît.
8 millions d’enfants conçus par FIV depuis 1978
Puis les découvertes s’enchaînent : en 1984, un enfant naît d’un embryon ayant été congelé. En 1990, les États-Unis utilisent un diagnostic pré-implantatoire (DPI) pour sélectionner l’embryon qui sera implanté dans l’utérus maternel, après avoir observé son génome, provoquant alors un grand débat. 1992 voit l’arrivée d’une nouvelle technique procréative en Belgique : l’ICSI ou l’injection d’un spermatozoïde directement dans l’ovule (au lieu de laisser le spermatozoïde y faire une entrée progressive), qui contourne certains cas d’infertilité masculine.
Rapidement, ces techniques se diffusent. En France depuis 1982, le nombre de FIV n’a cessé de croître : la proportion d’enfants ainsi conçus progresse de 0,5 % tous les 7 à 8 ans. Aujourd’hui, environ 1 enfant sur 30 est né d’une AMP. « Dans une classe maternelle, on peut dire qu’au moins un enfant a été conçu par AMP, commente Virginie Rozée, sociologue à l’INED, spécialiste du sujet. Il s’agit d’un mode de conception installé. » Sans compter que « les chiffres officiels cachent la forêt des nombreuses AMP qui ont lieu à l’étranger par des Français : femmes seules, en couple, ou par des couples hétérosexuels qui veulent contourner les listes d’attente trop longues ». Cette technicisation de la procréation s’observe partout dans le monde : 8 millions d’enfants auraient été conçus par FIV depuis 1978, estime la société européenne de reproduction humaine et d’embryologie (ESHRE). « En Europe, la situation est très variable d’un pays à l’autre, même si globalement la tendance est à l’ouverture de plus en plus large de l’accès à ces techniques, notamment aux couples de même sexe, relève Virginie Rozée. Néanmoins, contrairement à la France, peu de pays remboursent les démarches. »
Vers une procréation sans sexe ?
Ce big bang procréatif ne s’arrête pas là. La manipulation du vivant continue d’être repoussée de plus en plus loin, suscitant parfois des controverses, comme en 2016 lorsqu’une équipe américaine a donné naissance à un enfant « à trois parents », c’est-à-dire porteur du patrimoine génétique de 3 personnes (lire p. 16). Une technique interdite en France, tout comme la gestation pour autrui (GPA) consistant à recourir à une « mère porteuse » pour porter l’enfant le temps de la grossesse. Et demain ? Les recherches avancent sur la création de gamètes (cellules reproductrices) artificielles ou encore sur la mise au point d’un utérus artificiel (lire p. 18). Jusqu’où ira cette technicisation ? Alors que près de 400 000 enfants naissent tous les ans grâce à la technique et que, parallèlement, l’infertilité va croissant (un couple sur huit consulte aujourd’hui pour cette raison), vivons-nous les dernières générations d’une reproduction à l’ancienne, dite naturelle ? Allons-nous vers une « procréation sans sexe » ?