« Nous sommes dans un TGV lancé à 300 km/h »
Peut-on parler d’une technicisation de la procréation ?
Oui et ce mouvement a de beaux jours devant lui, avec la baisse actuelle de la fécondité des couples, qui risque de s’aggraver, et l’ouverture de ces techniques à de nouveaux publics, comme la loi bioéthique le prévoit pour les couples de femmes et les femmes seules.
Faut-il s’en inquiéter ?
Ne soyons pas dans l’imprécation et le jugement moral. Progressivement l’être humain a technicisé l’ensemble de son environnement, y compris sa procréation. Le retour en arrière n’est pas possible. Ces techniques nous permettent de prendre en charge des couples touchés par une infertilité, à qui nous n’avions rien à proposer avant. Sur le plan médical, elles n’ont pas de conséquences négatives (les problèmes sont artificiellement plus présents certes, mais cela s’explique par le fait que les femmes qui y recourent sont plus âgées que la moyenne). La seule variable est leur coût – plus élevé que pour un bébé conçu « sous la couette » – mais il s’agit de sommes modiques par rapport à la vie d’un nouvel être humain.
Quid du risque de marchandisation ?
La marchandisation est plus grave lorsque nous interdisons certaines pratiques, car les personnes sont alors obligées de se tourner vers des réseaux mafieux à l’étranger. Au lieu d’interdire de manière hypocrite, ayons le courage d’affronter ces sujets. Si la marchandisation nous révulse, votons des lois pour l’empêcher chez nous, en encadrant le recours aux techniques plutôt qu’en les interdisant.
La technique permet de sélectionner les embryons : n’y-a-t-il pas un risque d’eugénisme ?
Le diagnostic pré-implantatoire [DPI, qui permet de sélectionner les embryons à implanter lors d’une FIV – ndlr] est aujourd’hui autorisé pour des cas exceptionnels de risques de transmission d’une maladie rare des parents à l’enfant. Il doit être étendu à davantage de maladies, comme la trisomie 21, afin que soient implantés des embryons sains, et que l’on évite des fausses couches ou des interruptions médicales de grossesse.
La technicisation de la procréation va exploser !
Aujourd’hui nous implantons des embryons malades : c’est immoral car cela expose les femmes à des souffrances. Autorisons le DPI pour toute recherche de maladie, et faisons confiance aux équipes médicales chargées d’examiner les demandes. Étendre le DPI n’est pas de l’eugénisme : on ne « choisit » pas son bébé, car on se base seulement sur les 4 ou 5 embryons disponibles pour l’insémination. En outre, il n’y a aucun risque de généralisation de ces tests, tant les procédures de FIV sont lourdes ! En bref, le risque de dérapage est faible si on réalise les actes en France ; élevé, à l’étranger. Aujourd’hui, nous sommes bridés dans les choix techniques par des caciques qui ne vivent pas cela dans leur corps. Mais cela changera dans 5 ans avec la nouvelle révision de la loi bioéthique.
Quelles sont les perspectives des techniques de procréation ?
Deux grandes évolutions arrivent : dans 10 ans, nous saurons fabriquer du sperme et des ovules à partir de cellules de peau, et d’ici une vingtaine d’années l’utérus artificiel sera disponible. La fin du XXIe siècle va voir la technicisation de la procréation exploser ! Sur ces sujets, nous sommes dans un TGV lancé à 300 km/h, sans pilote et sans pouvoir arrêter le train. L’humanité entière est embarquée. Il faut être pragmatique. Notre seule prise est de faire en sorte que, chez nous, le marché ne tire pas le train. Nous devons aussi abandonner la méthode de l’interdit – forcément contourné – pour celle de l’encadrement.