La procréation de demain : comment le politique s’en saisit
Pionniers dans la construction d’une démocratie sanitaire et d’une éthique des techniques procréatives, les politiques français semblent être aujourd’hui dépassés par l’avancée fulgurante des techniques, et la facilité de contourner les interdits.
Après la naissance du premier bébé-éprouvette français en 1982, « le politique a pris conscience qu’était dorénavant bousculé tout le champ de la procréation », explique Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE).
Y aura-t-il encore des lois bioéthiques dans 15 ans ?
Afin de « ne pas laisser ces questions entre les seules mains des médecins et des chercheurs et d’ouvrir la réflexion à d’autres disciplines, avec des philosophes, juristes, membres des grands corps d’État », le président François Mitterrand crée le CCNE. Consultatif, ce comité est chargé, aujourd’hui encore, d’éclairer les politiques sur les sujets bioéthiques via la publication d’avis, et d’organiser les débats publics qui doivent précéder chacune des révisions des lois bioéthiques.
En 1994, un cadre législatif pour les techniques procréatives
Le politique se saisit également du sujet par des lois, régulièrement révisées depuis 1994. Ces textes législatifs bioéthiques interviennent tardivement : « Jusqu’en 1994, les CECOS [centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme, créés en 1973 – ndlr] et les médecins eux-mêmes organisent les règles et conditions d’accès à l’AMP, en la réservant à un couple, formé d’un homme et d’une femme, marié ou ayant des preuves de vie commune, en raison d’une infertilité médicalement diagnostiquée », explique Jean-René Binet, professeur en droit de la bioéthique à Rennes. Ces conditions sont reprises par les parlementaires qui les inscrivent dans la loi.
Les premiers textes bioéthiques de 1994 posent également de grands principes, avec l’ambition d’inspirer d’autres pays, à l’image du code civil. Est par exemple défini le principe de dignité de la personne humaine ; le corps humain est protégé par les principes de non-marchandisation et d’indisponibilité selon lesquels une personne peut user de son corps mais ne peut le céder. De ce dernier découlera notamment l’interdiction des mères porteuses. Ainsi établi en 1994, le cadre donné aux techniques procréatives changera peu, jusqu’à la loi de 2020 qui retire des conditions d’accès à l’AMP le critère d’infertilité afin de l’ouvrir aux couples de femmes et aux femmes seules.
Une démocratie sanitaire dépassée ?
Lois bioéthiques et CCNE sont les deux jambes de cette « démocratie sanitaire » à la française. Mais a-t-elle encore une marge de manœuvre face aux progrès fulgurants des techniques, et surtout au fait de pouvoir aller à l’étranger contourner les interdits français ? Plusieurs médecins, tel le professeur Israël Nisand (lire p. 14), assument d’orienter vers l’étranger des femmes voulant recourir à un diagnostic pré-implantatoire interdit en France. Des couples passent aussi les frontières pour réaliser une GPA. En bref, alors que des législations plus libérales existent à nos portes, les interdits tiennent-ils encore ? La gratuité du don de gamètes, établie en vertu du principe de non-marchandisation du corps humain, semble aussi fragilisée, puisque face à la pénurie de sperme et d’ovocytes qui devrait s’accentuer, la France devra vraisemblablement en acheter en Suède par exemple, où leur prélèvement est rémunéré. Que vaudra alors notre principe de gratuité ? « Les sujets bioéthiques sont sous pression extérieure : pression de la demande sociétale, pression de ce qui se fait à l’étranger, pression du marché. La règle juridique ne constitue plus une réelle protection. Je me demande s’il y aura encore des lois bioéthiques dans 15 ans », interrogeait ainsi le député Pascal Brindeau (UDI) lors des débats sur la loi bioéthique à l’Assemblée.