Aux sources du recours aux techniques procréatives : le désir d’enfant
La hausse du recours aux techniques procréatives s’explique par une multiplicité de facteurs. Tous ont en commun le désir d’enfant, devenu progressivement un « projet » à accomplir.
En France, un enfant sur 30 environ est né d’une AMP. Depuis les années 1980, le recours aux techniques procréatives augmente de manière continue. Première explication : la disponibilité des techniques, et leurs progrès. Cela s’explique aussi par une hausse des consultations pour infertilité (p. 22), concomitante à une certaine banalisation de l’usage de ces techniques, notamment par des couples anxieux de ne pas avoir d’enfant rapidement. Les gynécologues-obstétriciens signalent également une méconnaissance de l’horloge biologique qui entraîne beaucoup de femmes à retarder leur grossesse, ignorantes de la baisse drastique de leur fertilité après 35 ans, et finalement contraintes de se tourner sur le tard vers l’AMP.
Un puissant désir d’enfant
Enfin, la technicisation de la procréation est liée à une demande sociétale forte d’accès à ces techniques, jusqu’ici réservées aux couples hétérosexuels infertiles. C’est le cas de certains couples de femmes et de femmes seules, à qui la nouvelle loi bioéthique ouvre l’AMP. Mais aussi de couples, hétérosexuels et homosexuels, qui demandent aujourd’hui que la gestation pour autrui (GPA) leur soit accessible. Des demandes motivées par un puissant désir d’enfant, « ancré dans l’inconscient. Un désir que l’on ne contrôle pas et qui nous dépasse », analyse la psychanalyste et pédopsychiatre Myriam Szejer, auteure de L’Aventure de la naissance avec la PMA. Y renoncer est difficilement supportable, « d’autant plus aujourd’hui que la technique permet de l’assouvir ». « Cette difficulté à renoncer concerne autant les personnes en mal d’enfant, que les équipes médicales qui ont du mal à dire “non” à des demandes d’aides à procréer, par exemple lorsqu’il faudrait arrêter les FIV car les chances sont trop faibles. Ils ont peur de faire face à l’indignation de leurs patients. »
L’émergence d’un droit à l’enfant
Parallèlement, « notre regard sur l’enfant a changé ces dernières décennies : il devient un projet à accomplir, observe Myriam Szejer. Avant il arrivait quand il voulait, puis la contraception a rendu (et c’est formidable) les événements plus maîtrisables, mais en même temps, l’enfant est devenu un programme : on le “prévoit” après avoir suffisamment d’argent, une maison, un bon poste… Et si par malheur, il n’arrive pas, c’est un bouleversement car nous avons l’habitude de tout maîtriser ».
Un puissant désir d’enfant « que l’on ne contrôle pas et qui nous dépasse ».
De ce changement de regard sur l’enfant risque de découler un « droit à l’enfant » et, déjà, « un recours à la technique à l’aveugle » pour l’obtenir. « L’encadrement du recours à l’AMP est vague et facilement contournable, regrette Myriam Szejer. Pourtant, pour l’adoption d’un enfant, il existe une lourde procédure d’agrément. L’État se donne le droit de contrôler. » La psychanalyste, attachée à la maternité Foch de Suresnes, préconise donc l’instauration d’un entretien pré-conceptionnel avec un spécialiste du psychisme avant un parcours d’AMP. « Je pratique cela depuis longtemps. Ces conversations permettent de donner des informations, écouter, faire prendre conscience de la situation, par exemple lorsque l’on envisage une AMP avec donneur, ou célibataire. » De tels lieux manquent aujourd’hui alors que ces décisions graves sont prises par le corps médical « en quelques minutes ». Or, contrairement à la conception d’un enfant « sous la couette », le recours aux techniques procréatives « fait intervenir la sécurité sociale, le système médical, parfois un donneur de gamètes, la société… : il ne peut être sans limite ».