Des déséquilibres au plan environnemental et économique
Le débat autour du modèle des grands centres commerciaux relance une réflexion sur la relation entre urbanisme, aménagement du territoire et environnement.
Ville et commerce ont toujours été intégrés. Le commerce (foires, places du marché, halles) a joué un rôle décisif dans la formation des villes en contribuant à leur genèse, à leur animation et à leur urbanité. « En détachant le commerce de la ville, en particulier du centre-ville, la notion d’urbanisme commercial qui isole et traite à part une fonction particulière et importante de la ville, le commerce, a contribué à l’éclatement urbain et provoqué le déclin de nombreuses villes, petites et moyennes », estime Albert Lévy, architecte et urbaniste. Ce dernier rappelle combien l’étalement métropolitain et le zoning fonctionnel, accentuant la dépendance à l’automobile, a créé « des territoires habités fortement énergivores et émetteurs de CO2 par le trafic nécessaire induit et des espaces fortement artificialisés et asphaltés, que sont les grandes surfaces, participant aussi à la croissance d’îlots de chaleur urbains ».
L’impact de l’urbanisme des réseaux
L’urbanisme des réseaux qui a favorisé le développement des autoroutes et des métropoles autoroutières a été en effet à l’origine de l’expansion de la grande distribution en périphérie, banlieue et périurbain, au bord des échangeurs ou le long des voies qui facilitent l’accessibilité et la livraison du fret. « Or, trafic et transport routier représentaient, en 2018, 29 % du total des émissions de GES [gaz à effet de serre – ndr], auxquels il faut ajouter une partie des 5 % dus au transport aérien, car de nombreux produits alimentaires (et autres) sont acheminés par voie aérienne des quatre coins du monde, quelle que soit la saison.
« Les pouvoirs publics sont aux prises avec des intérêts et des objectifs contradictoires »
C’est pourquoi ces grandes surfaces demandent, pour leur fonctionnement, deux tiers d’espaces non bâtis dans leur superficie totale pour les voies, les parkings, le stockage, et parfois la végétation », explique Albert Lévy. Dès lors, comment réconcilier commerce et ville durable ? « Cela pose la question de savoir ce qu’est une ville durable », interroge d’abord Albert Lévy. « C’est une ville définie par les caractères suivants : compacité relative et courte distance par sa forme, mixité des fonctions et mixité sociale dans son organisation, gouvernance locale participative dans sa gestion avec dans son fonctionnement des objectifs zéro déchet et zéro carbone impliquant la fin des énergies fossiles avec une transition énergétique vers les énergies vertes, renouvelables… ».
Restaurer la mixité fonctionnelle
Pour l’architecte et urbaniste, il faut donc restaurer la mixité fonctionnelle, éviter le zoning en réinstallant le commerce dans la ville, réduire les projets démesurés, remettre en question la métropolisation pour aller vers une ville des courtes distances fonctionnant plus aux mobilités douces et aux transports en commun… « Pour agir sur le bilan carbone, il faut aussi revoir et décarboner toute la chaîne de la production à la distribution, repenser une agriculture de proximité, une agriculture urbaine, responsabiliser le consommateur dans ses choix… Mais attention, la ville durable est un projet, un horizon, c’est un projet démocratique en construction par le développement de la recherche et des expériences et qui vise aussi l’équité sociale sur le plan politique », souligne l’architecte. Encore faut-il que les pouvoirs publics se saisissent de ce projet ambitieux. « La politique de transition est encore trop timide et le scénario alternatif n’est pas encore prêt. Les pouvoirs publics sont aux prises avec des intérêts et des objectifs contradictoires et les arbitrages sont difficiles. Peut-être faut-il un choc comme celui de la pandémie de Covid-19 pour prendre conscience de la nécessité de changer et de construire une véritable transition », conclut Albert Lévy.