Europe et urbanisme commercial : tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne
La dérégulation européenne n’a pas empêché certains pays de préserver l’offre commerciale de leurs centres-villes.
La célèbre directive Services de 2006 ou directive Bolkestein a instauré la primauté de la libre concurrence et de la liberté d’implantation commerciales en Europe. L’initiative a eu pour effet de déclencher une vague d’ouvertures de centres commerciaux sans précédent sur le continent. En France, la loi de modernisation de l’économie (LME) de 2008 qui a supprimé les autorisations pour les surfaces de moins de 1 000 m2 a largement accompagné ce mouvement. Résultat : les trois quarts du commerce de détail dans l’Hexagone sont aujourd’hui réalisés en périphérie.
Les limites de la libre concurrence
Autre pays ayant fortement privilégié la liberté d’installation : l’Espagne. L’exemple de la région de Madrid est en cela emblématique. Le fait que les communes périphériques à la capitale espagnole puissent autoriser de grands projets commerciaux sans concertation avec cette dernière a créé un phénomène de concurrence ayant empêché toute régulation et harmonisation territoriale. En Belgique, la loi dite « Ikea » de 2005 a également participé à une forte dérégulation des autorisations de surfaces. En dessous de 1 000 m2, la commune décide seule, l’avis d’un Comité socio-économique national étant juste consultatif. Une politique qui a abouti aujourd’hui à un marché saturé.
Une approche plus aménagiste
Toutefois, l’impact de la directive européenne n’a pas été partout le même. Ainsi, le commerce en Allemagne est beaucoup mieux réparti entre la périphérie et le centre-ville. « La culture de l’innovation allemande, encouragée par des programmes d’investissement de l’État fédéral en la matière, facilite la création d’entreprises commerciales nouvelles plus économes en espaces et répondant aux désirs de connexion et d’optimisation des parcours d’accès aux produits des consommateurs », note Arnaud Gasnier dans son étude « La planification commerciale en Europe, hier et aujourd’hui : approche comparative » (Bulletin de la Société Géographique de Liège, 2019).
Certains pays en Europe ont su adopter une approche « aménagiste ».
À l’image de l’Allemagne, d’autres pays en Europe ont adopté une approche plus « aménagiste » comme l’Angleterre ou l’Italie. Outre-Manche est ainsi institué depuis 1995 le « test de centre-ville » (test séquentiel) priorisant les investissements en centre-ville, et depuis 2012 une politique nationale de planification ciblée sur le développement durable.
Des systèmes de régulation locaux et nationaux
L’exemple italien reste sans conteste le plus marquant. Les politiques régionales italiennes n’ont eu de cesse en effet de privilégier la protection commerciale de leurs centres-villes à travers des dispositifs permanents de soutien et d’aide aux commerçants indépendants. Les communes ont également le pouvoir de ne pas autoriser une entreprise à s’implanter dans un secteur commercialement saturé ou dans un centre-ville si son architecture n’est pas compatible avec les standards du quartier d’accueil. En Lombardie, après une cessation de commerce (traditionnel, de proximité, alimentaire…), elles peuvent imposer le même type de commerce pendant cinq ans. Ces exemples qui ont su préserver des systèmes de régulation locaux ou nationaux en dépit du cadre imposé par la directive européenne font dire à Arnaud Gasnier que « les conditions d’un urbanisme commercial plus vertueux et soutenable dépendent ainsi de l’efficacité des systèmes de planification territoriale mis en place, verticalement et horizontalement ».