Les élus locaux sont assez démunis pour comprendre le monde du commerce
Depuis quand parle-t-on d’urbanisme commercial ?
L’urbanisme commercial est une notion apparue au début des années 1960 lorsqu’il a fallu équiper en commerces les nouveaux quartiers d’habitat collectif. En 1963 s’ouvre en région parisienne le premier hypermarché français. Dix ans plus tard, ils sont au nombre de 210. Le commerce indépendant et celui de centre-ville en particulier subissent une concurrence accrue. En réaction, la loi Royer, en 1973, crée les Commissions Départementales d’Urbanisme Commercial qui sont chargées d’autoriser ou de refuser l’ouverture ou l’agrandissement de ces moyennes et grandes surfaces. Presque 50 ans après, le bilan de ces Commissions est plutôt négatif : avec l’un des dispositifs les plus sophistiqués d’Europe, la France a le parc commercial périphérique le plus important.
Quel impact a eu cette évolution sur l’organisation urbaine dans les villes ?
Après l’apparition des hypermarchés dans les années 1960, des centres commerciaux dans les années 1970 et des grandes et moyennes surfaces spécialisées à partir du milieu des années 1980, la restauration rapide, les multiplexes et le fun shopping, à l’exemple du centre Odysseum à Montpellier, sont venus conforter l’offre commerciale périphérique. Actuellement, la part des commerces de centre-ville est estimée à 25 %, celle de la proximité à 10 % et de la périphérie à 65 %.
Qui sont les acteurs de ce phénomène ?
Il y a d’abord la grande distribution qui a inventé une nouvelle forme commerciale : l’hypermarché ou « tout sous le même toit ». Il y a ensuite bien sûr les consommateurs qui ont privilégié ces grandes surfaces périphériques car plus accessibles en voiture, offrant des prix plus avantageux et une offre diversifiée. Enfin, il y a les élus des communes et des intercommunalités. Ils ont contrôlé (par le nombre de voix) les Commissions départementales qui devaient limiter l’expansion du commerce périphérique. Sans grand succès. Le double discours de certains élus est assez surprenant, mettant en avant leurs actions pour le commerce de centre-ville tout en attirant des grandes surfaces en périphérie, proposant ici un changement du PLU, là un prolongement d’une ligne de tramway…
L’actuelle cogestion locale public-privé ne comporte-t-elle pas des risques ?
Cette cogestion public-privé se développe depuis une vingtaine d’années en débordant souvent le simple volet commercial, car les foncières proposent des projets mixtes mêlant commerce, logement, bureaux… Avec l’élaboration des SCoT* et de leur volet commercial, les élus locaux se forment à l’urbanisme commercial. Mais ils sont assez démunis pour comprendre le monde du commerce. Ils privilégient la grande distribution et les grands promoteurs commerciaux qui sont les seuls susceptibles de leur proposer de vastes implantations structurantes et « intégrées » aux projets de leur intercommunalité. Dans ce processus de cogestion entre deux partenaires qui « se comprennent », le petit commerce indépendant est le grand oublié.
Quel premier bilan tirer du programme « Action cœur de ville » visant à mener des opérations de revitalisation notamment commerciale ?
Il est encore trop tôt pour établir un premier bilan mais il est difficile d’imaginer un retour des consommateurs dans ces centres-villes. L’urgence est d’organiser les périphéries pour en faire de nouveaux centres de vie pour un consommateur hyper-mobile de plus en plus connecté.
*SCoT : Schéma de cohérence territoriale