A Singapour, on boit les eaux usées
Confrontée à de faibles ressources, l’île innove depuis 60 ans pour devenir autosuffisante en eau, et se distingue notamment en transformant ses eaux usées en eau potable.
Dépourvue de toute source naturelle sur ses 699 km2 et très densément peuplée, l’île de Singapour a été très tôt contrainte de trouver un accord avec la Malaisie voisine. Depuis 1962 et pour 99 ans, la cité-Etat peut ainsi puiser de l’eau dans le fleuve malais Johor, en échange d’une livraison quotidienne d’eau traitée à l’Etat de Johor. Mais le sujet fait l’objet de tensions récurrentes et a suscité des discussions dès 1990, puis à nouveau en 2000. Singapour n’a de cesse d’innover pour atteindre l’autosuffisance en eau et mise pour cela sur trois sources, baptisées les « trois robinets nationaux » : l’eau de pluie, l’eau de mer désalinisée et celle provenant du recyclage des eaux usées. Créée en 1963, l’agence de l’eau ( Public Utilities Board ) joue un rôle essentiel : elle définit la politique de gestion des ressources et gère l’approvisionnement, la production et la distribution; elle contrôle la qualité de l’eau et traite la collecte des eaux usées domestiques et industrielles ; elle forme les professionnels de l’eau et finance la recherche et développement. Enfin, elle communique et sensibilise la population. Près de 20% des besoins sont couverts par l’eau de pluie recueillie dans des réservoirs artificiels construits à partir de 1960, et les trois usines de désalinisation d’eau de mer ouvertes entre 2005 et 2018 devraient en 2060 combler 30% des besoins.
Une partie de l’eau usée est vendue en bouteilles
Le troisième robinet est alimenté par les eaux usées, qui font l’objet de recherches depuis 1972 et sont acheminées jusqu’à cinq usines de retraitement grâce à un réseau souterrain.
Les eaux usées doivent combler 50% des besoins de l’île en 2060.
La première phase de ce Deep Tunnel Sewerage System s’est achevée en 2008. La seconde, qui traversera l’île sur 100 km, est prévue pour 2025. L’eau obtenue après microfiltration, osmose inverse et rayonnement UV est utilisée pour des applications industrielles et dans les tours de refroidissement. Mais ce qui fait l’originalité de Singapour, c’est qu’une partie est reminéralisée, puis mélangée à de l’eau d’origine naturelle pour alimenter le réseau d’eau potable. Elle est même aujourd’hui vendue en bouteilles par Public Utilities Board sous la marque NEWater, assortie du slogan « Chaque goutte doit être utilisée plus d’une fois ». Cette production fournit déjà 40% des besoins en eau et vise 50 à 55% en 2060. Reconnue comme un expert mondial en matière de traitement de l’eau, Singapour est régulièrement sollicitée pour conseiller d’autres pays faisant face au stress hydrique. L’Université nationale de Singapour (NUS) a créé un Institut des politiques de l’eau (Institute of Water Policy) et la cité-Etat organise chaque année la Singapore International Water Week qui réunit des spécialistes venus du monde entier. Des dizaines d’entreprises internationales travaillant dans ce domaine y ont localisé leurs centres de recherches. Des dizaines de startups autochtones (dont le nombre a été multiplié par quatre en 10 ans) ont également vu le jour sous l’appellation originale « d’hydropreneurs ». La stratégie de long terme adoptée par la cité-Etat se révèle payante . A la différence de la Malaisie pourtant mieux dotée, le pays n’a jamais eu besoin de rationner l’eau en plus de cinquante ans.