« Respecter les principes fondateurs du service public : adaptabilité, continuité et égalité »
Quel est le constat du Défenseur des droits quant aux inégalités d’accès aux services publics en ligne ?
Dès 2013 et l’annonce du “choc de simplification” des démarches administratives par le gouvernement, la question de la numérisation des services publics a commencé à émerger comme un sujet de préoccupation. En 2019, le Défenseur des droits a reçu plus de 103 000 réclamations, dont 70% relatives à l’accès aux services publics. Certes, toutes ne portent pas sur la numérisation de ces services. Mais nous constatons une inflation de signalements écrits et d’appels téléphoniques de personnes nous faisant part de leurs difficultés face à la généralisation de la dématérialisation des démarches administratives. C’est le volume et la teneur de ces alertes qui a motivé la publication en janvier 2019 du rapport “Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics”.
Qui sont les usagers principalement concernés par ces difficultés ?
De manière globale, on peut identifier quelques grandes fractions de la population : les personnes âgées, les personnes en situation de précarité, les personnes étrangères, les jeunes maîtrisant mal les codes de l’administration et les personnes en situation de handicap. Concernant ces dernières, il faut tout de même rappeler que seulement 5% des sites des administrations leur sont accessibles !
Quelle est la position du Défenseur des droits face à cette réalité ?
Le Défenseur des droits pose comme principe absolu l’accès de toutes et tous aux services publics. Dans les faits, la plupart des personnes qui rencontrent des difficultés ne font pas de recours. Elles abandonnent tout simplement leurs démarches. Il est ainsi primordial de proposer aux usagers un accès multicanal pour contacter un service public : accueil physique, téléphonique, courrier postal. Nous resterons extrêmement vigilants quant à la réalité des avancées.
La numérisation est pourtant un phénomène irréversible…
Comprenons-nous bien : la position du Défenseur des droits ne s’apparente en rien à une opposition à la dématérialisation des démarches administratives. Celle-ci permet de simplifier l’accès aux services publics pour une majorité d’usagers.
La numérisation de l’accès aux services publics ne peut se faire à marche forcée.
Avec des effets incontestables : hausse de 2% des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), taux de recours à la Prime d’activité porté à 73% (soit 23 points de plus que les projections initiales), création du coffre-fort numérique pour les personnes en situation de grande précarité. Pour autant, si le gouvernement, comme il en a affiché la volonté, systématise la numérisation de l’accès à l’ensemble des services publics à l’horizon 2022, nous pouvons d’ores et déjà estimer que 20% à 25% des citoyens seront en difficulté. En outre, nous sommes convaincus que cet objectif ne peut être atteint à marche forcée, sans que l’on tienne compte des difficultés bien réelles d’une partie de la population et des besoins spécifiques de certaines catégories d’usagers. Par-delà tous les constats que l’on pourra dresser, la mise en œuvre des politiques publiques de dématérialisation se doit de respecter les principes fondateurs du service public : l’adaptabilité, la continuité et l’égalité devant le service public.