De l’illettrisme à l’illectronisme, les enjeux de la fracture numérique
Savoir utiliser les ressources numériques courantes est devenu presque aussi indispensable que savoir lire, écrire et compter. De ce parallèle avec la littératie et la numératie est né un néologisme devenu référent : l’illectronisme.
Les historiens inscriront-ils un jour la transformation numérique dans la liste des révolutions qui ont jalonné la longue épopée de l’écriture ? Il a fallu attendre plus de quatre siècles après l’invention de l’imprimerie pour que 90% des Français sachent lire et écrire. Comment décrira-t-on demain l’appropriation d’Internet ? Le terme d’“illectronisme”, utilisé pour la première fois publiquement en 1999 par Lionel Jospin, alors Premier ministre, apporte sans doute un début de réponse. « Le mot a le mérite d’être immédiatement parlant, qualifiant comme l’illettrisme une difficile autonomie dans les usages les plus simples de la vie quotidienne et le risque induit d’exclusion », affirme Hervé Fernandez, directeur général de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI).
La photographie la plus récente de l’illettrisme en France date de 2012. L’Insee, en partenariat avec l’ANLCI, fait état de 2,5 millions de personnes concernées, soit 7% de la population (contre 3,1 millions de citoyens en 2005, 9% de la population). Il s’agit à 60,5% d’hommes, à 51% de personnes en emploi et à 53% de personnes âgées de plus de 45 ans.
Et l’illectronisme ? Différentes études montrent que 13% des Français de plus 18 ans ne se connectent jamais à Internet, soit 6,7 millions de nos concitoyens. S’y ajoutent plus de 7 millions d’internautes “distants”, c’est-à-dire disposant d’un faible niveau de compétences numériques et se sentant mal à l’aise dans leur utilisation d’Internet. « L’illectronisme touche non seulement une part importante de la société, mais, d’un point de vue sociologique, recouvre un spectre très élargi et divers de la société », commente Philippe Marchal, président du Syndicat de la presse numérique, qui a confié à l’institut CSA une grande enquête sur l’exclusion numérique.
Facteurs territoriaux, sociaux et générationnels
Celle-ci trouve plusieurs registres d’analyse. La fracture est d’abord territoriale. 50% des non-internautes résident dans des communes de moins de 20 000 habitants. Seuls 60% des habitants de communes rurales et 65% de villes moyennes se disent compétents pour utiliser un ordinateur, contre 76% des résidents de l’agglomération parisienne.
2,5 millions de Français illettrés, 13 millions en difficulté numérique.
Alors que 74% de ces derniers ont déjà effectué des démarches administratives sur Internet, 39% des habitants des villes moyennes n’ont pas encore franchi le pas. Au paramètre territorial viennent se superposer deux facteurs déterminants d’inégalité : les niveaux d’étude et de revenus. La moitié des non-internautes et le quart des internautes distants disposent d’un faible niveau d’étude (élémentaire ou collège), contre 15% de la population en moyenne. Si un tiers des Français s’estime peu ou pas compétent pour utiliser un ordinateur, cette proportion monte à 40% chez les personnes à bas revenus et explose à 74% chez les non-diplômés. Enfin, les questions d’âge et de situation familiale pèsent également fortement sur l’exclusion numérique. 33% des distants et 66% des non-internautes ont plus de 65 ans. Les personnes vivant seules se sentent moins compétentes pour utiliser un ordinateur (50% et 51%, contre 67% en moyenne).