« Ce sont les collectivités locales qui inventent les services publics numérisés »
Villes Internet est une association d’élus locaux promouvant l’Internet citoyen. Quel constat faites-vous quant à la capacité d’inclusion sociale du numérique ?
Je n’aime pas le terme d’inclusion. Littéralement, il traduit une idée d’enfermement. Au sein de Villes Internet, nous ne nous battons pas pour l’inclusion, mais bien contre l’exclusion par le numérique. Plus que jamais, celle-ci constitue un enjeu majeur de démocratie et de citoyenneté. Car toutes les études sérieuses qui renseignent cette question convergent pour constater que le numérique ajoute une couche d’exclusion à des mécanismes d’exclusion sociale toujours en action.
Quel est le rôle des territoires dans la lutte contre la fracture numérique ?
Il ne fait aucun doute que, depuis plus de 20 ans, ce sont les collectivités locales qui inventent les processus des services publics numérisés. A cet égard, le renouvellement des conseils municipaux en 2020 offrait aux élus une belle occasion de lancer leur projet numérique local, qui constituera le ciment politique de mise en œuvre d’un internet citoyen. L’urgence est d’autant plus criante que, pour sa part, l’État, dont le rôle est de réguler les services en réponse aux besoins fondamentaux, semble s’être désinvesti de la question sans pour autant donner de nouvelles compétences et moyens aux collectivités locales.
A quel niveau l’État s’est-il désinvesti ?
Sur l’exhaustivité de la couverture et de l’égalité d’accès, par exemple. Quand Orange parle d’un pays connecté à 98%, c’est un détournement des chiffres : le potentiel est géographique, mais les logements, écoles et lieux de travails ne sont pas connectés à 98%. Il existe des milliers de zones enclavées, dans les campagnes, mais aussi dans le périurbain, où la fibre et la 4G sont éventuellement dans la rue, mais pas dans les lieux d’activité ou les domiciles.
Quand on parle d’un pays connecté à 98%, c’est un détournement des chiffres.
Et nous savons que les objectifs de couverture du Plan Très Haut Débit ne seront pas atteints pour 2025. Les chiffres annoncés au nom du Fonds pour la société numérique (FSN) de 2020 ne couvrent pas le coût annoncé nécessaire pour financer le déploiement national, alors que les montants évalués sont insuffisants, selon les experts. La loi de finances n’a pas suivi les recommandations d’augmenter les fonds en allouant seulement un tiers des budgets nécessaires. Les réseaux d’initiative publique (RIP), basés sur un financement public très large, sont lésés au profit des engagements locaux des opérateurs privés. La question de la marchandisation progressive des services publics numériques est durement posée.
Où en est le tarif social de l’Internet, qui doit permettre aux français à revenus bas de profiter d’une connexion Internet à domicile à un prix abordable ?
La Loi pour une République numérique de 2016 a inscrit le droit au maintien de la connexion à Internet pour les foyers en difficulté dans la loi. Lors de difficultés pour s’acquitter des factures télécom, les abonnés devaient à la fois recevoir une aide du fonds de solidarité pour le logement (FSL) de leur département et avoir un maintien automatique du service minimum par les opérateurs. Non seulement les opérateurs freinent l’application de la loi, mais cette mesure reste à la discrétion de chaque département.