Le Covid-19, révélateur des exclus du numérique
La crise du covid-19 vient nous le rappeler : le numérique s’est plus que jamais fait une place de choix dans nos sociétés.
Les taux de connexion et d’équipement augmentent, les fonctionnalités opérationnelles des outils se multiplient et le niveau général de compétence progresse. La numérisation des démarches administratives s’est aussi fortement développée. En 2017, plus de 20 millions de foyers fiscaux ont déclaré leurs revenus en ligne, soit 2,4 millions de foyers fiscaux supplémentaires par rapport à 2016. Ce mouvement irréversible a de nombreuses vertus, tant pour l’économie que pour le citoyen. Il est un facteur de croissance, de progrès, de démocratisation des savoirs et de la parole. Mais comme toutes les ruptures majeures, il menace de renforcer les inégalités présentes dans la société et d’en créer de nouvelles.
Le coronavirus est venu jeter une lumière crue sur ces inégalités. Pour des centaines de milliers d’élèves, la classe à distance est un leurre, faute d’équipement adapté, des connaissances adéquates ou même d’un environnement familial propice à l’apprentissage. Pour des millions de Français, le confinement s’est transformé en isolement, faute d’avoir à disposition une connexion internet de qualité ou un smartphone, sans parler de savoir s’en servir. Il faut souhaiter que certaines habitudes prises pour faire face à la crise sanitaire perdurent, comme le télétravail qui, utilisé raisonnablement, pourrait atténuer le coup environnemental et humain des migrations pendulaires. Mais cela ne pourra se faire sans combler le fossé qui sépare les exclus du numérique du reste de la population.
Le retard en infrastructure est toujours là : dans une étude de 2019, l’UFC Que Choisir estime par exemple que 10,1 % des consommateurs ne disposent pas d’un internet de qualité minimale et que près de 12,8 millions de personnes se trouvent privées d’un « bon haut débit ». Les efforts de déploiement de la fibre et des réseaux mobiles doivent donc se poursuivre. Du côté de l’équipement, même si les prix ont beaucoup baissé, il est encore difficile dans certains foyers de se doter de suffisamment d’appareils pour chacun.
Mais la fameuse « fracture numérique » est bien plus profonde. Au-delà de l’équipement, encore faut-il avoir les compétences. Or, des millions de Français sont en situation d’illectronisme, incapables d’utiliser les outils numériques pour réaliser de simples tâches comme naviguer sur un site internet ou envoyer un courriel. Comme le dit Hervé Fernandez, le directeur général de l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme (ANLCI) : « le mot [illectronisme] a le mérite d’être immédiatement parlant, qualifiant comme l’illettrisme une difficile autonomie dans les usages les plus simples de la vie quotidienne et le risque induit d’exclusion ». Cette fracture n’est pas uniquement générationnelle, comme on le pense trop souvent, elle est aussi sociale et territoriale.
L’exclusion qu’implique l’illectronisme touche bien des aspects de la vie. Garder le contact avec ses proches, comme nous l’avons vu, mais aussi effectuer des démarches administratives et trouver du travail. Alors même que les chômeurs et les personnes fragiles sont les plus susceptibles d’être frappés par l’illectronisme, ce sont aussi ceux pour qui le numérique est un besoin vital, afin d’accéder aux offres d’emploi, et d’y postuler, ou bien de faire une demande d’aide. Pour les plus modestes, internet offre aussi la promesse d’un rééquilibrage, d’un accès à la connaissance immédiat qu’ils n’ont pas forcément eu lors de leur parcours scolaire. Mais cela suppose une compétence numérique encore plus élaborée : trier l’information, vérifier les sources et repérer les fake news qui prospèrent.
L’inclusion numérique doit être une priorité. Elle fait l’objet d’une stratégie ambitieuse au niveau national et se trouve aussi portée par une multiplicité d’acteurs locaux qu’il faut parvenir à coordonner : collectivités, entreprises, associations, etc. Elle ne saurait se limiter à une approche purement opérationnelle visant la facilitation de l’accès aux outils et aux usages. Elle induit également que l’on comprenne les effets transformateurs de la révolution numérique, en termes d’accélération et de transparence des échanges humains et marchands et que l’on soit en mesure de repenser l’organisation de la société tout entière.