« L’idée qu’un enfant est toujours éducable est un principe qui reste actuel »
Fin 2018, vous alertiez dans une tribune collective sur le manque de moyens des juges des enfants. Les choses ont-elles évolué depuis ?
Oui, sur plusieurs plans. L’écho de cette tribune auprès du grand public a d’abord permis d’alerter les pouvoirs publics sur les difficultés de mise en œuvre des mesures d’aide à l’enfance. En ce qui concerne la Seine-Saint-Denis, suite à cette tribune, des dispositions ont été prises afin de diminuer les délais d’attente de mise en œuvre des mesures de protection. Un service associatif habilité supplémentaire pourra réaliser des mesures d’investigation dans les délais les plus brefs possibles.
Quel est l’impact de ce manque de moyens dans l’exercice de votre mission ?
Nous avons les moyens de protéger en urgence un enfant en grand danger dans sa famille. En revanche, nous ne trouvons pas toujours un lieu d’accueil adapté à ses besoins. De même, pour les mesures de milieu ouvert où l’enfant reste dans son foyer, les délais d’attente pour l’application de mesures d’investigation ou éducatives peuvent prendre plusieurs mois. Or, l’éducation d’un enfant n’attend pas. Le modèle de la justice des mineurs en France est basé sur un jugement après mesures éducatives. Encore faut-il avoir les moyens de mettre en œuvre ces mesures éducatives.
Le département de Seine-Saint-Denis est-il symptomatique de ces carences ?
J’ai été juge des enfants dans plusieurs départements urbains et ruraux. La Seine-Saint-Denis fait partie de ces territoires composés d’une population jeune et pauvre nécessitant des mesures de protection de l’enfance plus importantes.
Encore faut-il avoir les moyens de mettre en œuvre des mesures éducatives.
Mais ce département a également une très grande capacité d’innovation comme en témoigne l’Observatoire des violences faites aux femmes, porté par Ernestine Ronai, et qui a imaginé des partenariats et des dispositifs comme le téléphone « grave danger », les mesures d’accompagnement protégé ou l’ordonnance de protection qui sont aujourd’hui généralisés au niveau national.
La réforme de l’ordonnance de 1945 vous paraît-elle aller dans le bon sens ?
Toute réforme doit rester fidèle aux principes qui ont guidé le gouvernement provisoire de 1945 exprimés dès les premières lignes de l’ordonnance : « Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et, parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. » L’idée qu’un enfant est toujours éducable est un principe qui reste actuel.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la délinquance juvénile ces dernières années ?
J’ai des motifs d’inquiétude devant les passages à l’acte des enfants qui peuvent commettre des actes d’une violence extrême avec parfois un défaut d’empathie. Maurice Berger, pédopsychiatre, a très bien analysé les ressorts de la violence chez les jeunes. Devant un tel constat, je pense qu’il faut d’autant plus soutenir la créativité des professionnels qui travaillent avec la jeunesse.