L’adolescence : une idée neuve dans notre histoire
Comment définir le « concept » d’adolescence ?
C’est une idée neuve dans l’histoire occidentale qui émerge au milieu du XVIIIème siècle. Elle n’existe pas dans certaines autres sociétés où le passage de l’enfance à l’âge adulte se fait de manière insensible ou à travers un rite d’initiation. Dans nos sociétés, ce moment de transmission est coupé de la vie quotidienne. L’adolescence émerge dans les milieux les plus privilégiées de la noblesse et de la bourgeoisie où les enfants étaient détachés du quotidien pour apprendre à lire et à écrire. L’adolescence devient alors une période de marge. L’étymologie du mot renvoie d’ailleurs à une notion d’inachèvement. Toutefois, à l’époque, dans les milieux populaires essentiellement ruraux, les enfants dès l’âge de 3 ou 5 ans participent aux travaux des champs et passent sans transition de l’enfance à l’âge d’homme ou de femme.
À quelle époque cette notion touche-t-elle une majorité de la population ?
Les lois Ferry de 1881 et 1882 qui rendent l’enseignement obligatoire de 6 à 13 ans officialisent cette nouvelle période de l’adolescence.
Selon l’Inserm, un jeune sur cinq se sent en pleine détresse.
Mais il faudra encore un long moment avant que la scolarisation se démocratise. Ce n’est qu’après le Seconde Guerre mondiale qu’émerge vraiment la notion d’adolescence. Le sociologue américain Talcott Parsons parle pour la première fois à l’époque de l’émergence d’une « Youth Culture ». Celle-ci sera notamment mise en avant par la littérature, avec entre autres « Le cœur est un chasseur solitaire » de Carson McCullers et « L’attrape cœur » de J.D. Salinger, publiés respectivement en 1940 et 1951. L’industrie du cinéma la relaiera également au travers de films comme « La Fureur de vivre » de Nicholas Ray ou « Graine de violence » de Richard Brooks, sortis en 1955. C’est vraiment au cours des années 50 que l’on assiste à une autonomisation de la culture jeune.
Le statut de l’adolescent a-t-il évolué ces dernières années ?
Tout change avec les années 90. On constate alors une augmentation des conduites à risques (délinquance, troubles alimentaires, phobie scolaire, toxicomanie, scarification, alcoolisation…). C’est le résultat d’une souffrance sociale et affective qui intervient, au tournant des années 80, et accompagne une disparition des anciennes cultures de classe qui donnaient un cadre à l’existence, de même le sentiment d’appartenance à une ville, à une région. Avec les années 90, tout cela vole en éclats. On assiste à une individualisation grandissante du lien social. Le chômage augmente, la paupérisation également. La famille change : on l’accepte pour le meilleur, mais sans le pire, le nombre de divorces augmente. Les solidarités déclinent. Il est plus difficile de grandir dans un cadre comme celui-ci. Aujourd’hui, selon l’Inserm, 1 jeune sur 5 se sent en pleine détresse. Et c’est un phénomène général à tous les pays occidentaux.
Le constat paraît bien sombre…
Malheureusement, les souffrances adolescentes risquent de s’accroître dans un monde qui voit s’aggraver inégalités et injustices. Les jeunes se cognent contre le monde et contre les autres, à défaut de limites de sens qui leur donneraient le sentiment d’avoir leur place dans la société et d’y être accueillis.
* Auteur de « Une brève histoire de l’adolescence » (Jean-Claude Béhar, 2013) et « En souffrance. Adolescence et entrée dans la vie » (Éditions Métailié, 2007).