Comment être pertinent face à la délinquance des mineurs d’aujourd’hui ?
D’un modèle tutélaire, la justice des mineurs s’oriente depuis les années 70 vers un modèle privilégiant davantage la réparation. Une tendance à la judiciarisation qui tend à faire oublier la responsabilité éducative de la société.
Le 12 janvier 2020, un mineur de 17 ans s’est constitué prisonnier après l’agression d’un policier grièvement blessé d’un coup de couteau à Marseille. Un jeune de 16 ans, originaire de Lucé (Eure-et-Loir), a été placé en garde à vue le 22 janvier pour avoir porté un coup de couteau mortel à un autre mineur de 16 ans. Un jeune homme de 17 ans, qui s’était enfui de l’hôpital de Besançon le 25 janvier après avoir été soigné pour une blessure par balle, a été identifié et interpellé après un vol. Ces faits divers rappellent que la délinquance juvénile est certes liée à cet âge particulier qu’est l’adolescence s’exprimant, dans toutes les catégories sociales, par des comportements transgressifs. Mais elle trouve avant tout son origine dans des situations de marginalité économique, sociale, géographique et culturelle. Or ces handicaps, bien plus que dans les années 50, sont entretenus par une plus grande difficulté à entrer dans la vie active et donc à acquérir une autonomie financière. Selon les chiffres du Conseil économique, social et environnemental (CESE), l’âge moyen du premier CDI est aujourd’hui de 29 ans. C’est dans ce contexte que se sont multipliés ces dernières années les discours sur « une jeunesse qui a changé, plus violente ». Un constat que récuse cependant Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS et auteur de « La délinquance des jeunes » (La Documentation française, 2015) : « L’aggravation de la délinquance des mineurs est un discours convenu et répété en boucle dans le débat public par des commentateurs qui ne prennent pas soin de vérifier les choses et qui ignorent les travaux scientifiques. »
Le débat sur l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans
La question de savoir si les jeunes ne devraient pas être considérés responsables comme les adultes, et jugés en conséquence, reste toutefois prégnante dans le débat public. Largement évoqué lors de la présidentielle 2017, l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans a encore récemment été avancé dans la perspective des municipales : Christian Estrosi, maire de Nice, l’a intégré dans son programme. « C’est là encore un débat politique qui revient périodiquement. Il ne repose sur rien en réalité. En droit, il existe déjà la possibilité pour un juge des enfants de prononcer des « mesures éducatives » à n’importe quel âge, des « sanctions éducatives » à partir de l’âge de 10 ans et des « peines » (y compris de prison) à partir de l’âge de 13 ans », note Laurent Mucchielli. Quoi qu’il en soit, l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans est une mesure difficile à appliquer. La France a en effet ratifié la Convention internationale du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant qui veut, dans son article 1er, que la personne de moins de 18 ans soit tenue pour un enfant. Ce texte s’inscrit dans la tradition occidentale d’après-guerre qui élabore une justice des mineurs sur un modèle tutélaire ou protectionnel. Ce modèle repose sur le primat de l’éducation et le principe de la responsabilité éducative de la société à l’égard des mineurs délinquants.
Mise en avant de la responsabilité individuelle des mineurs
Mais de fait, depuis la fin des années 70, ce modèle est contesté et la responsabilité individuelle des mineurs mise en avant. Les mesures inspirées de la justice restauratrice ont le vent en poupe : la réparation du tort causé par l’infraction devient centrale. « En réalité, le nombre de mineurs pris en charge par la justice augmente parce que les mailles du filet pénal se sont resserrées.
L’aggravation de la délinquance des mineurs est un discours convenu.
Cette augmentation porte sur des délits peu graves qui n’étaient pas judiciarisés auparavant. Quant aux faits graves, ce sont toujours les mêmes (bagarres entre groupe de jeunes, violences sexuelles, etc.) », précise Laurent Mucchielli. Actuellement, la loi française ne fixe pas d’âge minimum en dessous duquel un mineur ne peut rendre des comptes. Le critère inscrit dans la loi n’est pas l’âge, mais le « discernement ». Sur ce point, la réforme en cours de la justice des mineurs souhaite fixer le seuil d’irresponsabilité pénale à 13 ans, tout en laissant une marge de manœuvre au juge qui pourra faire du cas par cas, de manière exceptionnelle pour des faits très graves. Si un consensus se dégage autour de la nécessité d’une nouvelle loi pour clarifier un texte devenu un millefeuille difficilement lisible, le fond du débat – aux yeux des professionnels de la justice – porte surtout sur la nécessité de mobiliser davantage de moyens (juges des enfants, éducateurs, formation…).