Dans le bilan provisoire de la réforme des retraites, qui a marqué quels points ?
Au cœur du rapport de force sur les retraites, il y a ce qui est déjà acquis et ce qui bloque toujours. Il y a aussi, entre le gouvernement, la rue et les syndicats, ceux qui s'en sortent plus ou moins bien.
Alors que débute la conférence sur le financement des retraites et que le mouvement social connaît un relatif moment de pause, il est possible de tirer un premier et provisoire bilan, situé à trois niveaux d’analyse.
En premier lieu, sur la forme que prendra le nouveau régime de retraites, et même si tout n’est pas encore définitif, il est déjà possible de relever quelques points. Le principe même d’un régime universel à points, même s’il continue à faire l’objet d’un rejet par une partie de l’opinion, semble acquis. C’est essentiel pour deux raisons :
C’est à cette condition que peut se mettre en place une véritable solidarité nationale qui protège les plus fragiles sans subventionner certaines professions au profit d’autres. On sait néanmoins que ce principe connaîtra des limites puisque certains ont déjà réussi à obtenir des concessions catégorielles de la part du gouvernement.
D’autre part, c’est le seul système adapté à une économie changeante dans lequel des secteurs disparaîtront au profit d’autres, et les individus auront des carrières plus fragmentées. En ce sens, c’est aussi un système qui facilite les transitions, les prises de risques et l’autonomie. La réforme devrait aussi permettre une conciliation apaisée et rationnelle entre “répartition” de droit commun et “capitalisation” complémentaire, même si l’affaire Black Rock ne va évidemment pas faciliter les choses.
Le principe même d’un régime universel à points, même s’il continue à faire l’objet d’un rejet par une partie de l’opinion, semble acquis.
S’agissant, en deuxième lieu, des conséquences financières à long terme de la réforme, le bilan est à ce stade plus incertain et contrasté. Si le gouvernement a semble-t-il réussi à imposer le principe d’un régime en équilibre, il reste encore à convenir des modalités. Pire, les diverses concessions déjà octroyées à une série de professions, et sans doute pas les dernières, remettent déjà en cause cet équilibre. L’âge pivot étant remisé au placard et le point n’étant pas conçu comme une variable d’ajustement, reste à voir ce qui sortira de cette grande conférence de financement. Mais la perspective d’un grand soir des retraites, comme en a connu la Suède il y 20 ans, s’éloigne.
Plus largement, point un peu ignoré jusqu’ici, la réforme, en intégrant la fonction publique dans le régime général, devrait entraîner un alignement de la contribution des fonctionnaires sur celle des salariés du privé et donc réduire à due proportion l’effort de l’État. Cette somme, d’un montant encore difficile à estimer, servira d’abord à compenser cette augmentation des cotisations, mais elle devrait aussi offrir l’occasion de réformer en profondeur les services publics. La présente réforme est le moment propice pour engager une réflexion sur les négociations salariales, le déroulement des carrières et la mobilité. La question n’a pour le moment été abordée que pour les enseignants, mais elle pourrait s’étendre à d’autres secteurs.
En troisième et dernier lieu, cette réforme et la longue mobilisation qu’elle a provoquée amènent aussi à une réflexion sur l’état des forces politico-syndicales. Côté syndicats, il semble que trois centrales puissent revendiquer un bilan positif, à ce stade. La CGT est sortie du jeu du réformisme syndical, pour occuper pleinement, et presque exclusivement, le terrain de la contestation, sur lequel elle s’est imposée. Philippe Martinez incarne désormais la figure du jusqu’au-boutisme, reste à savoir si cela constitue une stratégie payante. Pour l’UNSA, c’est l’entrée dans la “cour des grands”, mais au prix d’une ambiguïté : il y a un décalage, pour ne pas dire une opposition, entre la confédération réformiste, qui à gagné une représentativité nationale de fait, et les fédérations SNCF et RATP, beaucoup plus radicales, qui ont prise sur la base militante. La CFDT a quant à elle acquis un succès symbolique et médiatique sur la question de l’âge pivot, sans garantie que ce qui sortira de la conférence de financement constituera pour elle une meilleure alternative.
La perspective d’un grand soir des retraites, comme en a connu la Suède il y 20 ans, s’éloigne.
Côté gouvernement, la situation est là aussi contrastée. Édouard Philippe pourrait sortir renforcé à titre personnel d’une crise qu’il gère seul, restant pour le moment ferme sur ses principes sans adopter la posture “droit dans mes bottes” qui aurait pu conduire au désastre. Cela dépendra évidemment du destin de cette réforme, toujours combattue dans la rue mais qui devrait maintenant commencer son chemin parlementaire.
On peut néanmoins regretter un certain nombre d’erreurs évitables qui ont donné un sentiment d’empressement, d’illisibilité et donc d’une certaine brutalité. Alors que la réforme avait fait l’objet d’un long travail en amont, l’étude d’impact transmise par le gouvernement a été jugée très sévèrement par le Conseil d’État. Par ailleurs, si le prix à payer pour apaiser la CFDT et l’UNSA était si peu élevé, pourquoi alors ne pas avoir fait ces concessions avant que le mouvement social ne s’enlise ? Il se dégage un étrange parfum d’improvisation autour d’une réforme si fondamentale pour le quinquennat en cours.