« Faute d’agir maintenant, nous serons condamnés à l’avenir à acheter à l’étranger »
Comment garantir la sécurité des dispositifs médicaux tels que votre cœur artificiel ?
Cette question est compliquée par les nombreux scandales qui ont eu lieu en France. Mais ceux qui ont défrayé la chronique relèvent à mon sens davantage de la malveillance, de l’erreur individuelle, plutôt que de l’organisation de notre système de santé, qui est conçu pour limiter les risques. Ensuite, l’innovation en santé demande plus de temps que dans d’autres secteurs, tels que l’aéronautique par exemple. En santé, le risque est en outre plus élevé, car si un dispositif casse, le patient peut en mourir.
Essais cliniques : comment concilier accès précoce et sécurité des patients ?
Si nous obtenons le marquage CE l’an prochain, ce sera pour Carmat une très bonne performance : concevoir un cœur artificiel en une décennie défie tous les calendriers de développement dans l’industrie de la santé. Réaliser des études cliniques est indispensable pour y parvenir. La question est de savoir combien de personnes nous autorisons collectivement à prendre le risque d’une éventuelle casse du matériel, sachant que chacune d’elle contribue à sauver des vies dans le futur.
Concevoir un cœur artificiel en 10 ans défie tout calendrier
Les patients sont informés de ces risques lors des essais cliniques. Ceux à qui l’essai est proposé n’ont aucune alternative pour guérir de leur pathologie. Mais l’opinion publique conçoit difficilement qu’une seule vie puisse être mise en situation de risque dans un essai clinique. De cette méconnaissance des aléas de la recherche et développement en santé, et également du fait du manque de moyens dans nos hôpitaux, le cadre nécessaire pour mener des études cliniques n’existe plus en France. Les chiffres le montrent : il y a davantage d’essais cliniques menés en Belgique que dans notre pays, alors qu’il compte six fois plus d’habitants.
Comment travaillez-vous avec les pouvoirs publics ?
Les dispositifs médicaux constituent un secteur stratégique dans le monde entier : il représente 300 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an, en croissance de 6% chaque année. Les groupes présents sur ce marché sont de plus en plus gros et ils continuent de croître rapidement. A tel point que dans 5 à 10 ans il sera trop tard pour entrer sur le marché. Nos chercheurs ont été la pointe dans ce domaine, mais ils sont partis à l’étranger pour développer leur technologies. Carmat a pu bénéficier des soutiens d’Oséo puis de Bpifrance, sans lesquels l’entreprise n’existerait pas aujourd’hui. Mais cet accompagnement se tarit au-delà des cinq premières années. Récemment, nous avons bénéficié du soutien de la banque européenne d’investissement. Mais en France, les capitaux privés à investir dans les entreprises innovantes manquent de façon générale, et a fortiori dans le domaine de la santé, où le risque est élevé. Des entreprises trop jeunes sont contraintes d’aller chercher des capitaux sur les marchés financiers, ce qui nuit à leur croissance.
Seule l’action publique peut créer les conditions d’émergence d’un écosystème solide, capable de produire des champions nationaux des dispositifs médicaux. Faute d’agir maintenant, nous serons condamnés à l’avenir à acheter à l’étranger – et avec les deniers publics – ces dispositifs médicaux qui vont se généraliser dans la médecine de demain.