Parole des experts : publicité ou information ?
Les médecins veulent participer à l’information du public pour lutter contre les fake news, mais ils se heurtent à un cadre déontologique et réglementaire strict.
Le législateur a durci le ton concernant la transparence des liens entre les experts et l’industrie pharmaceutique. La « loi Bertrand » de 2011 a en effet interdit les cadeaux et frais de bouche à partir de 10 euros, et depuis 2016, le Code de la santé publique (article L4113-13, modifié par la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 – article 115) prévoit que « tout médecin doit déclarer oralement ses liens d’intérêts qui peuvent constituer des conflits d’intérêt ».
L’interdiction de publicité est source d’inéquité en Europe.
Ces dispositions se traduisent dans les décisions de la chambre disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins, qui a donné un premier avertissement contre la non-déclaration publique d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique en décembre 2018 : le Dr Robert Cohen, pédiatre, a été rappelé à l’ordre pour ne pas avoir mentionné ses liens d’intérêts avec les fabricants de vaccins comme Pfizer, Sanofi, GSK et MSD, lors de ses interventions médiatiques pro-vaccination.
Une réglementation trop sévère pourrait « décourager la recherche »
Si elles satisfont l’exigence de transparence revendiquée par les citoyens, ces dispositions législatives comportent un risque, selon Norbert Nabet, directeur du groupe de presse professionnelle de santé HEHS et ancien directeur général de l’ARS Corse : « Peu d’experts sont capables de conduire des recherches, de les expliquer et d’enseigner. Or, ces travaux impliquent des relations avec des laboratoires pharmaceutiques, à un moment ou un autre de leur carrière. Un nouveau resserrement de la réglementation pourrait décourager la recherche, ou freiner les volontés de communiquer sur les avancées médicales. »
Assouplir l’interdiction de publicité pour faciliter la lutte contre les fake news
Compétents pour participer à la lutte contre les fake news médicales, les médecins sont réduits au silence par l’interdiction de publicité à laquelle est soumise la profession. Or, selon le docteur Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins et auteur de nombreux rapports, dont « Information, communication, publicité et réputation numérique » (2016), « le fait qu’un médecin s’exprime publiquement est parfois assimilé à de la publicité, alors que la plupart du temps, son intervention vise à informer la population. Il faut donc plaider pour une vision plus ouverte et une diffusion plus libre des informations communiquées par certains praticiens et qui ne sont pas de la publicité ». En mai 2018, le Conseil d’Etat s’est prononcé en faveur de la promotion de l’utilisation des outils numériques par les professionnels « pour communiquer sur leurs expériences et pratiques professionnelles et intervenir efficacement sur tout support afin de répondre aux fausses informations ou approximations ». Un assouplissement de l’interdiction de publicité rétablirait en outre l’équité de pratiques entre les professionnels de santé au niveau européen. En effet, la communication commerciale est autorisée à divers degrés en Allemagne, Italie, Espagne, Belgique et Royaume-Uni, créant une asymétrie des conditions de concurrence entre professionnels des zones frontalières.