Un modèle économique en mutation
L’industrie pharmaceutique a réussi à maintenir sa capacité d’investissement en recherche et développement en dépit des évolutions du marché depuis vingt ans.
Au cours des deux dernières décennies, le secteur pharmaceutique a connu de nombreux bouleversements, et la fin du modèle économique des « blockbusters ». L’apparition des biotechnologies et de la médecine personnalisée, le développement des génériques soutenus par la puissance publique et le renforcement de la réglementation internationale sur les brevets ont modifié le paysage pharmaceutique mondial. Les grands groupes se sont spécialisés, ont externalisé une partie de la phase industrielle de conception des médicaments, et de nouvelles entreprises innovantes ont fait leur apparition, mais celles-ci sont de petite taille. Ainsi, sur 521 producteurs de biotechnologies en France, qui concentrent près de la moitié des emplois du secteur, 49% sont des start-up et 38% des PME. Par ailleurs, du fait de la demande de médicaments nouvelle adressée par des pays comme la Chine et le Brésil, le marché français ne représente plus désormais que 3,3% du marché mondial qui se chiffrait en 2018 à 1 046 milliards de dollars (soit 928 milliards d’euros). Pour autant, la France reste un grand producteur de médicaments : ce secteur économique, qui emploie près de 100 000 personnes dont 1 sur 5 dans la recherche, générait 55,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018, dont près de la moitié réalisée à l’export. Les médicaments constituent en effet le quatrième exécédent commercial de la France. Mais le pays est désormais le quatrième pays producteur de médicaments en valeur en Europe, après avoir été leader de 1995 à 2008.
Un effort de recherche important
Pour tenir son rang dans la compétition mondiale, l’industrie pharmaceutique doit innover, ce qui nécessite des capitaux. « De 10 000 molécules criblées à 10 qui feront l’objet d’un dépôt de brevet et 1 qui parviendra à passer toutes les étapes de tests et d’essais cliniques pour devenir un médicament, le chemin est long (12 ans en moyenne), complexe et coûteux. En 2012, une étude avait estimé que la mise au point d’une nouvelle molécule représentait un investissement d’environ 900 millions de dollars, et même de 1,5 milliard de dollars en tenant compte du coût du capital », rappellent Les entreprises du médicament (LEEM). Selon les chiffres du ministère de la Recherche publiés en 2019, l’industrie pharmaceutique était en 2017 le troisième secteur économique produisant le plus gros effort de recherche, à hauteur de 9,8% de son chiffre d’affaires, soit 4,451 millions d’euros, dont 98% investis sur fonds propres. Pour autant, les profits colossaux réalisés par les grands groupes du secteur, et surtout le niveau élevé des dividendes versés à leurs actionnaires, posent question quant à l’effort d’investissement en recherche effectivement réalisé. Les recherches s’orientent davantage vers des pathologies rentables que vers le traitement de pandémies dans les pays en développement.
Inciter les laboratoires à produire des médicaments pour les pays pauvres
Pour corriger ce biais, les Etats-Unis ont mis en place des bons pour une autorisation de mise sur le marché accélérée (Priority Review Voucher) accordés aux laboratoires qui produisent un médicament à destination des pays émergents, qu’ils peuvent ensuite faire valoir pour un médicament de leur choix sur le marché américain.
Les médicaments sont le quatrième exécédent commercial du pays.
Des organisations non gouvernementales agissent également : en Suisse, le Medicine Patent Pool collecte des licences pour produire des médicaments à destination des pays pauvres, et la DNDi (Drugs for Neglected Diseases initiative) fédère des chercheurs pour concevoir de nouveaux médicaments à destination des pays du Sud, vendus à un prix variant en fonction du niveau de revenus du pays consommateur.
Agir sur le territoire national
Dans les pays du Nord, un effort est demandé aux laboratoires pour relocaliser leurs usines sur le territoire national, afin de soutenir l’emploi et de lutter contre les pénuries de médicaments, dont le nombre a explosé en dix ans. En France, les industriels se sont engagés dans le contrat stratégique de filière de février 2019 à renforcer leurs positions sur le territoire national, en contrepartie des mesures en faveur des laboratoires annoncées par le Premier ministre lors 8e Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) en juillet 2018. Une quarantaine de mesures ont alors été actées, et sont progressivement mises en place, comme la simplification du dispositif de régulation des dépenses, la réduction des délais de procédures administratives d’accès au marché des médicaments, la réforme de l’évaluation des médicaments ou encore la mise en place du Health Data Hub. L’émergence d’une économie des données, et l’essor de l’intelligence artificielle, challengeront à nouveau le modèle économique de l’industrie pharmaceutique dans la prochaine décennie.