Dédiaboliser l’industrie pharmaceutique : une urgence sanitaire
Les scandales sanitaires et les fake news ont rendu les Français méfiants, à tel point que près de la moitié ne suivent pas les prescriptions de leur médecin. Cette situation fait peser un risque sanitaire, et un coût financier, sur le pays.
Les Français n’ont plus confiance dans l’industrie pharmaceutique. Cette rupture se traduit dans les sondages : 41% des personnes interrogées par Ipsos en 2016 déclaraient ne pas être convaincues par la nécessité de certaines vaccinations infantiles. Un comble au pays de Louis Pasteur. La défiance actuelle envers ce secteur économique se traduit déjà en alertes sanitaires : depuis novembre 2017, plus de 1 000 cas de rougeole ont été constatés en France, dont près de la moitié en Nouvelle-Aquitaine, selon santé publique France en mai dernier. L’Agence nationale de Santé publique a alors sonné l’alarme sur l’insuffisance de la couverture vaccinale contre la rougeole chez les nourrissons : seuls 79% d’entre eux reçoivent les deux doses de vaccins, alors qu’un taux de 95% est requis pour assurer la couverture de la population. L’OMS (Organisation mondiale de la santé) a également manifesté son inquiétude face à l’épidémie de rougeole en Europe, qui a tué 74 personnes en 2018 et 37 au premier trimestre 2019 – dont deux en France. Selon le professeur Elisabeth Bouvet, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales et membre du collège de la Haute Autorité de santé, l’épidémie a commencé à reculer en France. Mais les peurs des patients n’ont pas disparu.
Les fake news sèment le doute dans les esprits
Les fake news sanitaires qui pullulent sur les réseaux sociaux sèment le doute dans les esprits et attisent les inquiétudes. Elles sont diffusées par des groupes d’influence, voire parfois par des médecins aux convictions radicales : le professeur Henri Joyeux avait ainsi lancé une pétition alertant le grand public contre une prétendue toxicité pour les nourrissions des adjuvants de certains vaccins. Cette pétition et d’autres déclarations jugées rétrogrades, menaçantes pour le mécanisme de la vaccination préventive, et portant atteinte à la profession, lui ont valu d’être radié de l’Ordre des médecins fin 2016. Malgré ce désaveu public, et du fait du fonctionnement des réseaux sociaux, ses propos continuent d’agiter les débats et d’effrayer les jeunes parents qui hésitent à faire vacciner leur enfant. Internet regorge d’autres accusations contre les entreprises pharmaceutiques. Elles ne sont plus perçues comme productrices de nouveaux traitements, œuvrant à l’amélioration de l’espérance de vie et au confort des patients, mais comme des groupes déconnectés de leur mission d’intérêt. A chaque publication de leurs résultats annuels, les laboratoires pharmaceutiques se voient accusés de chercher la rentabilité au seul profit de leurs actionnaires. Malgré les mesures prises pour renforcer l’exigence de transparence de la part des entreprises et les obligations légales concernant les déclarations d’intérêt, les institutions publiques sont elles aussi suspectées d’alliances coupables avec les industriels de la santé.
La non-observance des traitements coûte entre 2 et 9,3 milliards d’euros
Outre ces théories du complot vivaces, les scandales sanitaires des dernières décennies ont également contribué à renforcer les craintes. Ainsi, un quart des médicaments prescrits en France ne sont pas pris. Par méfiance ou par méconnaissance, au moins un Français sur deux ne suit pas la prescription de son médecin, notamment en cas de maladie chronique. Cette non-observance des traitements génère 1 million d’hospitalisations et 8 000 à 1 2000 décès chaque année, selon la Fondation Concorde (2014).
La non-observance des traitements génère 8 000 à 1 2000 décès chaque année.
Outre ses conséquences sur la santé des Français, elle représente un coût pour les finances publiques, estimé entre 2 milliards (Fondation Concorde en 2014) et 9,3 milliards d’euros (IMS Health pour le Cercle de réflexion de l’industrie pharmaceutique en 2012) par an. Pour résoudre cette crise, il est urgent de refonder la communication du secteur et de mener un dialogue actif avec les patients afin de répondre aux exigences des Français en matière de transparence, de fiabilité et d’efficacité vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique. Selon le LEEM (Les entreprises du médicament),
8 Français sur 10 déclarent manquer d’informations sur la recherche pharmaceutique. Ce dialogue doit être mené par l’ensemble des acteurs du secteur, publics et privés.