« Accorder des autorisations temporaires de mise sur le marché est une question d’équité »
Pourquoi prônez-vous l’accès précoce au médicament ? Quels sont les enjeux ?
La médecine est de plus en plus personnalisée. En tant que médecin et présidente du groupe d’étude Cancer, je constate que les traitements spécifiques se généralisent en cancérologie, et pour soigner d’autres pathologies. Ces médicaments doivent être administrés rapidement, car c’est la survie du patient qui est en jeu. Or, les procédures de mise sur le marché dans notre pays sont trop longues. Un patient dont le pronostic vital est engagé ne peut pas s’entendre dire qu’il ne peut pas recevoir un traitement du fait des délais de procédure administrative. Accorder des autorisations temporaires de mise sur le marché est une question d’équité pour les patients. Des autorisations temporaires pourraient également faciliter la réalisation d’essais cliniques précoces. Actuellement, face à la lourdeur de la procédure administrative – qui nécessite les accords de l’ANSM et du Comité de protection des personnes – les laboratoires choisissent de faire les essais ailleurs qu’en France. Notre pays risque ainsi de manquer le train de l’innovation.
Quelles réformes législatives faut-il envisager pour y parvenir ?
Nous avons présenté au Sénat en juin 2018 un rapport qui explore les solutions pour consolider l’accès précoce au médicament en France. Les industriels, les soignants et les chercheurs que nous avons interrogés s’accordent à constater un décrochage de la France. L’une des raisons est l’impossibilité d’étendre les AMM à des pathologies connexes. Ainsi, un laboratoire ayant reçu une AMM pour un médicament traitant le cancer des poumons ne peut pas étendre cette autorisation au traitement d’autres cancers. Or, les délais de procédure dans le cadre d’une demande d’AMM dépassent 500 jours en France, alors qu’ils n’excèdent pas quelques semaines en Allemagne. La procédure française – qui mobilise la Haute Autorité de santé pour valider la dimension innovante du médicament, puis le Comité d’évaluation des produits de santé pour fixer son prix – doit être réformée. L’innovation nécessite un cadre législatif spécifique, tout en respectant les exigences budgétaires de la Sécurité sociale.
La notion de valeur thérapeutique relative doit être expérimentée
Pour cela, la notion de valeur thérapeutique relative doit être expérimentée. Quand un produit de santé est autorisé au niveau européen pour un prix donné, il pourrait être prescrit en France sous ces conditions tarifaires, avec une évaluation in situ de son efficacité : si les résultats s’avèrent inférieurs aux attentes, son prix est alors revu à la baisse. L’Allemagne pratique déjà ce système.
Comment replacer l’éthique de santé publique au coeur de la chaîne du médicament ?
Le Comité de protection des personnes y veille – et à mon sens, il conviendrait d’ajouter le terme « éthique » dans son nom. Etablir sa composition par tirage au sort, pourquoi pas, mais parmi des personnes qui connaissent le sujet. Par ailleurs, la transparence est un gage d’éthique. Une piste peut être d’obliger les laboratoires à communiquer le montant de fonds publics qu’ils perçoivent, comme proposé par l’amendement Véran (NDLR : adopté dans le PLFSS 2020, il a été censuré par le Conseil constitutionnel). Le bon équilibre entre transparence et respect du secret des affaires reste à trouver.