Comment la lutte de pouvoir entre syndicats joue sur la réforme des retraites
La CFDT veut revenir dans le jeu alors qu’elle est faible à la SNCF et quasi-absente à la RATP. La CGT joue sa place de leader des « irréductibles » face à FO et Solidaires. Personne n’a intérêt à faire de cadeau à personne.
En cette semaine de rentrée, une éclaircie est enfin apparue sur le dossier des retraites, après plus d’un mois de mobilisation record dans les transports. Une issue semble se profiler s’agissant de l’âge pivot, point d’achoppement majeur entre le gouvernement et les syndicats réformistes, CFDT et UNSA. Édouard Philippe n’a pas fermé la porte à l’idée d’une conférence de financement proposée par Laurent Berger, qui permettrait l’adoption du volet « social » de la réforme et de repousser à plus tard la recherche d’un consensus sur son volet « financement ». Séduisante au premier abord, cette solution pose néanmoins de nombreuses questions.
À court-terme, il n’est pas certain qu’elle permette de faire cesser la grève, particulièrement dans les transports, là où elle est la plus forte et la plus pénalisante pour les Français. Si l’UNSA est bien implantée à la SNCF et à la RATP, ce n’est pas le cas de la CFDT. Or, les syndicats tenants d’une ligne dure, CGT en tête, n’ont aucunement l’intention d’appeler à la reprise du travail. C’est un retrait pur et simple du projet qu’ils exigent, puisqu’ils s’opposent à l’esprit même de la réforme portée par le gouvernement et au passage vers un système par point. Plus prosaïquement, c’est aussi contre la remise en cause de leurs régimes spéciaux que les salariés des deux grandes sociétés de transport se mobilisent. Un quelconque compromis du gouvernement sur la question de l’âge pivot ne devrait donc pas être de nature à faire évoluer leur position. En même temps, on imagine mal Emmanuel Macron remiser sa réforme au placard.
La CFDT a perdu depuis le début du mandat Macron le rôle de pivot qu’elle occupait sous le quinquennat Hollande, une avancée sur le dossier des retraites représenterait donc une victoire de prestige.
Au-delà, c’est aussi une lutte de pouvoir cruciale qui se joue entre les différentes centrales. La CGT, principale force derrière la grève, accumule les revers ces dernières années, après avoir été dépassée par la CFDT en tant que premier syndicat du pays. Après l’échec du long conflit de l’année 2018 sur la question du statut de la SNCF, un nouveau revers serait désastreux pour Philippe Martinez. Se joue aussi la place de leader des « irréductibles », vis-à-vis de FO et de Solidaires.
Pour la CFDT, il est primordial de revenir dans le jeu, alors même que le syndicat n’est que faiblement implanté à la SNCF et quasi-absent à la RATP. La centrale cédétiste a perdu depuis le début du mandat Macron le rôle de pivot qu’elle occupait sous le quinquennat Hollande, une avancée sur le dossier des retraites représenterait donc une victoire de prestige. L’UNSA, quant à elle, veut faire fructifier la position centrale qu’elle occupe dans cette grève et asseoir sa position dans le jeu syndical, elle qui ne jouit pas de la représentativité légale de part son trop faible score aux élections professionnelles.
Personne n’a donc intérêt à faire de cadeau à personne.
À plus long-terme, on se demande bien ce que le gouvernement aurait à gagner à accepter sans conditions la proposition émanant de la CFDT. Emmanuel Macron a martelé que les volets sociaux et financiers de la réforme devaient rester indivisibles. Il serait en effet trop facile pour le gouvernement d’essayer de capitaliser sur les avancées du système universel, en repoussant aux calendes grecques la prise des décisions difficiles. Car les données du problème ne changeront pas. L’espérance de vie, et surtout la démographie, jouent contre l’équilibre du système de retraites. Niveau de pension, âge de départ ou montant des prélèvements: un de ces leviers devra tôt ou tard être actionné.
On se demande ce que le gouvernement aurait à gagner à accepter la proposition de la CFDT. Niveau de pension, âge de départ ou montant des prélèvements: un de ces leviers devra tôt ou tard être actionné.
En outre, politiquement parlant, un abandon, même temporaire, du volet « financement » de la réforme risque de mettre le Président et son gouvernement en porte-à-faux vis-à-vis de leurs soutiens, dont le centre de gravité s’est désormais largement déporté vers la droite. Emmanuel Macron ne s’en cache d’ailleurs pas, il pense que c’est en siphonnant cette partie de l’électorat qu’il peut s’assurer une réélection confortable en 2022. Il doit lui donner des gages, et faire preuve de sérieux budgétaire sur les retraites en constitue un élément incontournable.
C’est donc une période encore pleine d’incertitudes qui s’annonce, alors que l’opinion n’a guère frémi. Dans le nuancier des forces en présence, dont les positions varient entre la franche hostilité et le soutien sans faille, il y aura beaucoup de perdants et bien peu de gagnants à l’issue de ce conflit. On peut le regretter, tant la construction d’un système plus juste et plus pérenne avait la capacité à réunir une majorité de protagonistes derrière elle, et avec elle une majorité de Français.