Pour Emmanuel Macron, reculer serait désastreux et hypothéquerait le reste du quinquennat
La réforme des retraites, c'est le grand chantier qui prouve qu’il est capable de transformer le pays. Reculer, ce serait aussi risquer de perdre le terrain gagné à droite.
Après les annonces d’Édouard Philippe, on en sait désormais un peu plus sur la réforme des retraites préparée par le gouvernement. Apparemment rien ne bouge, on se dirige vers un système universel par point qui met donc fin à la myriade de régimes spéciaux, les seuls changements consentis par le gouvernement concernant l’équilibre financier.
Mais en garantissant la valeur du point et en instaurant une sur-cotisation équivalent à un nouvel impôt pour les plus aisés, la charge de cet équilibre est désormais transférée à l’impôt et à l’Etat. Comme on pouvait s’y attendre, rien de tout cela n’est susceptible de satisfaire les syndicats, avec peut-être une surprise concernant la CFDT, sur laquelle le gouvernement pensait originellement pouvoir compter. On se dirige donc vers un conflit dur, à l’issue incertaine.
Cette nouvelle réforme a l’avantage, ou l’inconvénient c’est selon, d’aborder deux problèmes de fond distincts. C’est d’abord une réforme systémique, dans l’esprit de ce qu’Emmanuel Macron avait annoncé durant sa campagne. L’idée n’est pas tant de supprimer l’essence de ce qui fait les régimes spéciaux, des droits spécifiques adaptés à une situation particulière (horaires décalés, dangerosité, etc.), que de permettre à tous les travailleurs concernés de s’en prévaloir. Cette réforme a aussi pour but d’élargir l’assiette globale du système et de permettre la solidarité à l’échelle nationale, sans avoir des régimes structurellement déficitaires financés par d’autres.
À cela s’est ajoutée la problématique de l’équilibre financier, qui n’est pas nouvelle. Si l’on accepte l’idée que les retraites sont un prélèvement des inactifs sur les actifs et l’on observe l’augmentation de l’espérance de vie et de la population des retraités, il est évident que de nouvelles sources de financement doivent être trouvées. Peu importe d’ailleurs que ce prélèvement se fasse sous forme de cotisations, d’impôts ou de dividendes. Si l’on veut maintenir le taux de prélèvement et le montant des pensions, la seule solution est d’augmenter la durée de travail. Quiconque dit autre chose propose concrètement de ponctionner les actifs ou les retraités. L’ajustement de la durée du travail n’est abordé depuis des décennies que par à-coups, parce qu’il n’y a jamais eu de réforme de fond. A ce titre, l’intérêt du point et de l’âge pivot est qu’ils permettent de s’ajuster avec souplesse à la conjoncture.
Concilier ces deux aspects dès aujourd’hui serait la meilleure option, mais le gouvernement a dû lâcher du lest pour préserver l’essentiel de sa réforme, et reporté sine die le retour à l’équilibre. Le transfert de la gestion du système aux partenaires sociaux peut susciter des doutes si l’on en juge par leur échec à réformer l’assurance chômage. Ces concessions étaient peut-être nécessaires, mais elles sont regrettables. Il faut néanmoins saluer le sérieux du gouvernement s’agissant de l’âge pivot. Dans tous les cas, ces annonces ne permettent pas d’envisager une sortie de crise à court-terme, car le gouvernement n’a aucun intérêt à faire de plus amples concessions et les syndicats en ont encore moins à céder, d’autant que le projet va toujours bien au-delà des lignes rouges qu’ils ont pu fixer ces dernières semaines.
Pour Emmanuel Macron, cette réforme est la mère des batailles, le grand chantier qui prouve qu’il est capable de transformer le pays en restant fidèle au “en même temps” présidentiel. Reculer serait désastreux et hypothèquerait sans doute le reste du quinquennat, tout en menaçant de perdre le terrain gagné à droite. Le gouvernement sait qu’il est illusoire de vouloir rallier les centrales les plus radicales à sa cause, et va sans doute travailler à une solution lui permettant d’obtenir un accord au moins tacite avec la CFDT. Pour le moment, celle-ci continue de rejeter fermement l’idée d’un âge pivot et tout autre évolution qui conduirait, de facto, à allonger la durée de cotisation. Le renvoi à une négociation éclatée pour la mise en œuvre de la fin des régimes spéciaux est une tactique qui peut s’avérer payante.
Pour les syndicats il s’agit de reprendre la main après les déboires accumulés ces dernières années. Faisant partie intégrante du système, ils n’ont pas été épargnés par le mouvement des Gilets Jaunes, et doivent désormais regagner une part de légitimité. Ces mêmes Gilets Jaunes, quant à eux, constituent à la fois une opportunité de faire vaciller le gouvernement, pas encore matérialisée si l’on en juge la mobilisation famélique des derniers week-ends, et un risque pour les syndicats si les violences qui ont marqué le mouvement se reproduisent.
C’est un rapport de forces classique dont l’objet est les retraites, mais dont l’enjeu est le pouvoir. Le gouvernement décide de sa politique et négocie seulement les conditions de sa mise en œuvre. Nous voilà revenus au début du quinquennat avec de surcroît quelques expériences cuisantes et des égos exacerbés.
Comme souvent, le juge de paix sera l’opinion. Le gouvernement parie sur la sagesse des Français qui savent qu’une réforme est indispensable. Mais tant que la population continuera de voir dans ce mouvement une résistance plus large à la politique d’Emmanuel Macron, une majorité pourra faire corps avec les grévistes. Si l’on se risquait à une conjecture, toujours ardue s’agissant d’un mouvement social, on noterait néanmoins que le cœur de la mobilisation concerne des professions qui campent sur leurs acquis, tout en pénalisant fortement les Français à l’orée d’une période où ceux-ci sont particulièrement dépendants des moyens de transport.
Reste donc à voir jusqu’où leur patience ira.