« La réforme donne du ”grain à moudre” au dialogue social »
La réforme de la formation professionnelle engagée par le gouvernement va-t-elle selon vous dans le bon sens ?
Pour l’essentiel, oui. C’est une réforme majeure, la plus importante depuis la loi Delors de 1971. Elle comporte de nombreuses avancées. Refonte du CPF, nouvelle définition de l’action de formation, soumission des certifications des titres professionnels à l’avis des branches et des commissions paritaires consultatives, abondement du Conseil en évolution professionnelle, création des Opco (opérateurs de compétences)…
Sur le versant apprentissage de la réforme, le passage de relais des régions aux branches est-il justifié ?
Je pense que la réforme de l’apprentissage est en partie « à côté de la plaque ». On le sait, le principal verrou au développement de l’apprentissage dans le secondaire est dans la concurrence entre les lycées professionnels et les CFA (centres de formation d’apprentis). Or, ce sujet de l’harmonisation, qui est précisément LE sujet de l’apprentissage, la réforme ne le traite tout simplement pas. Elle occulte totalement les lycées professionnels, qui concentrent pourtant 75% de la formation professionnelle initiale, pour ne s’intéresser qu’aux CFA, qui ne gèrent que 25% des flux. En outre, confier le financement de l’apprentissage aux branches ne va pas dans le sens de l’Histoire. L’apprentissage au XXIe siècle doit être “débranché”. Avec la forte servicialisation des métiers (commercial, marketing, financier, fonctions support…), la majorité des formations ne relève aujourd’hui d’aucune branche.
De manière plus générale quelles sont les conditions de “réussite” de cette réforme ?
Il s’agit d’une réforme sur le long cours, qui appelle de vrais changements culturels de la part des salariés, de leurs employeurs, du management et de l’ensemble des parties prenantes du système, auxquelles il faut laisser le temps de s’approprier les acteurs, les outils, le cadre juridique.
« Une réforme sur le long cours, qui appelle de vrais changements culturels. »
Ce n’est donc qu’à l’usage que l’on pourra réellement juger de l’efficience des mesures engagées. Il va également falloir penser l’usage du CPF en termes de co-investissement salarié – employeur. Les deux parties ont en effet tout intérêt à s’entendre. Le salarié y a intérêt puisque le CPF ne peut pas être mobilisé sur le temps de travail sans autorisation de l’employeur et que le montant cumulé sera le plus souvent insuffisant pour acheter une formation certifiante.
En quoi s’agit-t-il d’une réforme plus ambitieuse que les précédentes ?
Elle donne du « grain à moudre » au dialogue social, surtout si on la combine avec les « ordonnances Pénicaud » de septembre 2017 visant à assouplir les modalités de la négociation dans les entreprises et à étendre son champ. C’est l’accord d’entreprise qui prévaut. C’est à l’entreprise, dans le cadre de la négociation, de s’emparer de ce nouvel outil que sont les accords de gestion de l’emploi et des parcours professionnels (GEPP). Il y a là une opportunité inédite de négociation autour de la stratégie de formation professionnelle.
* Bertrand Martinot, a été Délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) de 2008 à 2012.