Vers une société de la connaissance : anticiper les mutations
Face à l’accélération du rythme des innovations numériques et à l’intensification de la mondialisation, la formation, demain, ne renverra plus tant à des contenus qu’à une disposition permanente à acquérir des compétences transversales.
D’un côté un important niveau de chômage, de l’autre des milliers d’entreprises qui ne trouvent pas de candidats… Et, au milieu, des dizaines de “métiers en tension”. Si le phénomène récurrent des emplois non pourvus n’est pas une exception française, il trouve dans l’Hexagone de solides ancrages structurels et culturels.
Personne ne sait encore mesurer le manque ou la perte de talents.
Non seulement le pays enregistre des performances médiocres en matière de développement des compétences, mais il accuse des retards dans l’utilisation des compétences disponibles. « Le niveau d’inadéquation des qualifications en France est proche de la moyenne de l’Union européenne, mais le pays affiche l’un des niveaux de sous-qualification les plus élevés », constate Glenda Quintini, économiste à l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Selon l’organisme européen, 23,4% des salariés français sont sous-qualifiés par rapport à leur métier, contre 11,7% en situation de surqualification.
Des nouveaux métiers dans tous les secteurs
Démentir le décrochage têtu entre offre et demande sur le marché de l’emploi s’avère d’autant plus épineux que la révolution numérique et la mondialisation vont significativement transformer les métiers, en faire disparaître, en faire émerger de nouveaux. On estime que les deux tiers des écoliers actuellement en classes maternelles occuperont des emplois qui n’existent pas encore aujourd’hui. Tous les secteurs seront touchés, des pans clés de l’économie française comme la banque, la finance, l’assurance et les télécommunications, aux domaines les plus structurants de la cohésion sociale : école, santé, justice. « Aujourd’hui, personne ne sait encore mesurer le manque ou la perte de talents, qui est pourtant en passe de devenir le risque numéro un pour les entreprises », avance Martin Richer, coordinateur du pôle Entreprise, Travail & Emploi du think tank Terra Nova. Selon une étude réalisée par le cabinet McKinsey, 43% des emplois qualifiés français seraient d’ores et déjà automatisables si les entreprises décidaient de déployer les technologies existantes. Avec un impact collatéral pour 9,7 millions d’emplois.
La durée de vie d’une compétence ? Cinq ans !
Le contenu des emplois va changer. La forme des emplois (statut et usages) également. « Il y a déjà en France 2,3 millions d’actifs cumulant une activité salariale avec un travail d’indépendant ou qui ont plusieurs emplois salariés en même temps. A ce phénomène s’ajoute une aspiration grandissante à devenir acteur de sa vie professionnelle. Libérer le travail, c’est le rendre accessible au plus grand nombre. Cela passe, entre autres, par la capacité de tout l’écosystème à accompagner les transitions professionnelles », souligne Denis Pennel, directeur de la World Employment Confederation, qui regroupe 50 fédérations nationales à travers le monde.
Les grands défis qui se posent à nos sociétés ne se relèveront pas tant sur le terrain des diplômes que sur celui des compétences. Hier, quand les cycles de révolutions technologiques étaient plus lents, les entreprises pouvaient absorber les changements en adaptant ces processus standardisés et en les partageant avec leurs employés, bien avant la prochaine vague de changement. Tout cela est bien fini. « Dans les années 80, les compétences étaient utiles pendant trente ans. Aujourd’hui, elles ne le sont pas au-delà de cinq années », souligne Philippe Burger, associé responsable Capital Humain chez Deloitte. Or, le cabinet de conseil estime que face à cette obsolescence accélérée des compétences, seuls 6% des dirigeants français pensent que leur organisation est « très prête ».
Une logique de continuum
La formation professionnelle est au cœur d’enjeux collectifs majeurs en termes de compétitivité pour les entreprises et pour le pays, en termes d’employabilité pour les individus, qu’ils soient demandeurs d’emploi, jeunes ou seniors, très ou peu qualifiés, salariés du secteur public ou du privé. A cet égard, le remplacement dans les entreprises du plan de formation par le plan de développement des compétences dépasse largement le symbole. Il n’y a plus de distinction entre une “formation d’adaptation” nécessairement réalisée pendant le temps de travail et des “actions de développement des compétences” qui pouvaient être pour partie accomplies en dehors du temps de travail.
Le législateur a pris acte de la nécessité de faire des compétences le carburant social et économique de demain. Quant aux employeurs, ils savent que la formation professionnelle ne doit plus tant s’inscrire dans une logique d’acquisition unilatérale des connaissances que dans un continuum de développement et de valorisation des compétences. Selon l’édition 2018 du Baromètre international Cegos, la formation apparaît comme le premier levier envisagé par 79% des dirigeants pour faire face aux évolutions des compétences et des métiers.
Nous sommes entrés dans une économie globalisée de la connaissance, porteuse de nouveaux usages, propice à l’émergence de nouveaux métiers. Tout l’enjeu consiste donc à développer de nouvelles compétences tout en transformant les organisations du travail pour répondre aux nouveaux marchés et modèles de l’emploi. C’est pourquoi tous les pays développés investissent massivement dans la formation continue. L’OCDE considère qu’à horizon 2060, celle-ci représentera jusqu’à 10% du temps de travail des actifs.