Île-de-France : A l’hôpital Paul-Brousse, un service traite les accros aux jeux vidéo
L’existence « d’un trouble du jeu vidéo » a été entérinée par l’OMS en mai 2019. Une unité de l’hôpital Paul-Brousse à Villejuif accueille depuis 6 ans des patients atteints de cette nouvelle pathologie.
« Quand je jouais plus de 15 heures par jour, les journées passaient à une vitesse incroyable ! Une semaine me paraissait deux heures. Je ne ressentais plus le temps, témoigne Antoine (23 ans). Aujourd’hui, je retrouve la sensation de me lever le matin et d’envisager le nombre d’heures avant lequel j’irai me coucher, d’avoir conscience du temps qui est devant moi. » Il y a peu, Antoine jouait jusqu’à 18 heures par jour aux jeux vidéo, attiré surtout par la compétition et l’envie d’être en haut du classement affiché en permanence par ses jeux. Un engrenage qui s’est progressivement refermé sur le jeune garçon blond au regard vif. « Au lycée, je n’allais presque plus en cours. C’était la guerre avec ma famille, un enfer. Mes parents ne supportaient pas de me voir jouer sans arrêt. Tout le monde pleurait. » Antoine décroche tout de même le bac, mais abandonne son BTS quelques mois plus tard, trop attiré par ses écrans pour respecter des horaires. Il part finalement à l’armée. « La discipline m’a fait du bien, je n’ai pas eu le choix, j’ai dû arrêter de jouer », raconte-t-il avec lucidité. Pendant un an, Antoine ne touche pas à un clavier, jusqu’à ce que ses économies lui permettent d‘en acheter un et qu’il sombre à nouveau dans l’addiction, ce qui entraîne son renvoi.
Décortiquer le mécanisme de dépendance
Il est aujourd’hui patient à l’hôpital de jour en addictologie pour les jeunes de l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP) à Villejuif. Depuis juillet dernier, il y est accueilli de 9h30 à 16h30 tous les jours.
Il m’a été difficile d’admettre que j’étais malade.
Désormais, il joue au maximum 4 heures quotidiennes, malgré son « écœurement » vis-à-vis des jeux. « Avec le recul, je regrette toutes ces heures perdues, surtout pour mes études », confie-t-il. Il reste au jeune homme à retrouver l’énergie de sortir de chez lui pour reprendre une scolarité ou travailler, mais les écrans au moins ont été mis à distance. « L’équipe m’aide. Je me sens compris. L’addiction est souvent incomprise par les gens. On me dit ”si tu veux tu peux”. Moi-même, il m’a été difficile d’admettre que j’étais malade, d’autant plus que je n’ai aucune marque physique de cette addiction. J’aurais aimé être orienté vers ce genre d’endroit plus tôt. »
La particularité de l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP) est de proposer un accueil de jour à ces jeunes de 15 à 23 ans, addicts aux jeux vidéos, avec une prise en charge intensive. « En outre, alors que la plupart des structures adoptent immédiatement un angle psychiatrique pour traiter ces malades, nous avons également une approche d’addictologue : c’est-à-dire que nous cherchons à décortiquer le mécanisme d’addiction installé », explique le docteur Geneviève Lafaye, responsable de l’accueil de jour et créatrice du lieu. Ainsi, le cœur de la prise en charge est d’abord une phase d’évaluation longue de trois semaines pour décortiquer l’addiction. « Beaucoup arrivent avec des histoires toutes faites censées expliquer l’addiction. Il faut souvent déconstruire ces certitudes. Nous faisons une évaluation globale, impliquant une compréhension du milieu familial, souvent majeur pour comprendre. » L’enjeu est aussi de faire prendre conscience aux jeunes de leur dépendance, car ceux-ci viennent la plupart du temps à l’hôpital contraints par leurs parents. « Ces jeunes ont souvent des projets de vie classiques : avoir une maison, une famille, un travail… Nous leur montrons le décalage qu’il y a entre ces objectifs et leur mode de vie actuel, et identifions ensemble ce qu’ils veulent changer », complète le docteur Althabegoity, psychiatre addictologue.
Un accompagnement médical et éducatif
Une fois l’évaluation réalisée, un accueil de jour se met en place. Il est conduit par une équipe de psychiatres addictologues, mais aussi des psychologues, des infirmières, une éducatrice spécialisée, une assistante sociale, une ergothérapeute. L’accompagnement est à la fois médical et éducatif. Le programme alterne ainsi entre entretiens individuels et activités collectives. Groupes de parole, ateliers d’écriture, ateliers potager ou encore activité cuisine sont proposés. Tous les types de dépendance (jeux, alcool, drogues…) étant alors mélangés. Un groupe de parole sur la dépendance aux jeux a lieu aujourd’hui. La lumière inonde la pièce, depuis une large fenêtre qui donne sur le verdoyant parc de l’hôpital. Quatre patients sont présents autour de la table, dont deux addicts aux jeux. Volubile, Théo témoigne longuement de sa dépendance. « Dans les jeux vidéos, j’étais pris dans un flux ininterrompu : j’avais toujours envie de faire plus, d’aller jusqu’au bout de l’histoire de mon jeu. Dans certains jeux, une fois l’histoire terminée, ça ne s’arrête pas : on peut se promener dans le jeu et trouver d’autres missions. C’est sans fin ! » raconte-t-il. Après des études d’aide-soignant vétérinaire, Théo ne parvient pas à chercher un travail. Il a la phobie du téléphone, des longues distances, de la foule, et trouve refuge dans ses écrans. Depuis son arrivée à l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP), sa consommation de jeux a nettement ralenti, et il commence tout juste la musculation et les arts martiaux. « Le plus difficile est de retrouver le goût de sortir et de faire autre chose », raconte ce grand brun. En entendant Théo raconter son parcours, les sensations qui le traversent, ses difficultés, Manon, ici pour son addiction à plusieurs drogues, retrouve avec surprise « les mêmes choses qu’avec les substances ».
Des mécanismes graves et ancrés
Quels sont les espoirs d’une guérison ? « Cela prend du temps, car les joueurs arrivent tard, constate le docteur Lafaye. Leurs comportements sont ancrés depuis plusieurs années. Il manque un repérage précoce de cette dépendance. Il s’agit de mécanismes graves et rigides qui demandent une réelle intervention médicale sur un temps long. » Certes, il n’y a pas de phénomène physique de manque comme pour les substances, mais « toute leur vie tourne autour des écrans ». Un constat partagé par Vanessa, infirmière dans le service : « Souvent les joueurs ne se rendent pas compte du temps nécessaire. » L’accueil de jour de l’hôpital Paul-Brousse est censé être une étape dans le parcours de soin. La prise en charge peut durer entre un mois et un an, et s’étale en moyenne sur trois mois. Certains refont des passages ponctuels dans le service, ou sont pris en charge en libéral hors de l’hôpital par des psychiatres ou des addictologues.
Reportage Félicité de Maupeou