Les écrans, un défi pour la parentalité !
Mal informés, eux-mêmes accros, dépassés, les parents peinent souvent à éduquer à un usage raisonné des écrans. Mais ils ne sont pas les seuls responsables.
« Il y a quelques années, quand un enfant hurlait, les parents lui collaient une tétine dans la bouche, aujourd’hui, ils peuvent lui mettre leur smartphone dans les mains », constate Serge Tisseron, psychiatre, spécialiste du sujet. Les écrans sont devenus partie prenante des vies de famille, or beaucoup de parents sont mal informés de leurs effets sur les tout-petits. D’autres « préfèrent oublier ces dangers ou tout au moins les minimiser parce qu’ils ont l’impression de ne pas pouvoir organiser leur vie sans laisser leurs enfants devant les écrans », complète Serge Tisseron. Quoiqu’il en soit, une faillite parentale existe bien dans ce domaine. C’est ce que constatent Serge Tisseron, Thomas Rhomer (voir ci-contre), ou encore Olivier Gérard, responsable des questions numériques à l’Union nationale des associations familiales (UNAF). En cause notamment, les difficultés immédiates (boucler la fin du mois, travail, angoisses diverses…) qui relèguent la question des écrans à une place moins urgente. D’autant plus que « les conséquences de la surconsommation d’écrans par les jeunes enfants ne sont pas visibles à court terme, et ont donc tendance à être minimisées », analyse Serge Tisseron. Difficile également de prendre réellement conscience des risques, dans la mesure où « passer ses vacances devant un écran n’empêche pas un adulte – qui a constitué l’ensemble de ses capacités mentales – de reprendre son activité professionnelle. Alors que cela empêche un jeune enfant de constituer les capacités mentales dont il aura besoin tout au long de la vie », poursuit-il.
Des parents démunis en quête de repères
Mais, même une fois informés, « il y a une incapacité chez beaucoup de parents à poser des limites dans l’usage des écrans », constate Olivier Gérard, à l’UNAF. Ainsi, 45% d’entre eux considèrent que le contrôle de l’utilisation des écrans est une préoccupation majeure, et pour 19% il s’agit du sujet prioritaire sur lequel ils ont besoin de soutien*. C’est pourquoi l’UNAF organise des ateliers de sensibilisation, dans des collectivités, des écoles, et bientôt dans les entreprises. Certains élus se saisissent aussi du sujet (voir p.22), tandis que des professionnels dessinent des repères. A l’image de la méthode des 4 pas, proposée par Sabine Duflo, psychologue et membre du collectif surexposition écran (Cose) : pas d’écrans le matin, durant les repas, avant de s’endormir, dans la chambre de l’enfant. Ou de Serge Tisseron, qui a construit la règle des « 3-6-9-12 » donnant des conseils de durée et d’usage, selon les âges. Sauf que « les alertes, trop négatives, ont globalement peu d’effets, regrette Serge Tisseron. C’est pourquoi, aujourd’hui, nous préconisons plutôt de mettre l’accent sur le bonheur des jeux partagés et celui d’avoir des activités physiques ensemble. Depuis 4 ans, nous ne disons plus : “pas d’écrans avant trois ans“, mais : “Jouez, parlez, arrêtez la télé” ».
Des stratégies commerciales pour attirer les enfants
Reste que les parents ne peuvent pas être tenus pour seuls responsables. « Avec l’offre immense d’applications, de jeux, d’émissions de télévision calibrés pour les enfants, tout est fait pour orienter les enfants vers ces occupations, et il est difficile pour les parents de résister », constate Olivier Gérard. Sans parler de la difficulté à suivre les évolutions fulgurantes du numérique, telles que le succès du jeu en ligne Fortnite : « Personne ne l’a vu arriver, l’usage a été massif, avec, en plus, un modèle économique consistant à faire des micro-achats au long du jeu, explique-t-il.
Il y a une défaillance parentale sur le sujet des écrans.
Les parents arrivent trop tard, une fois l’usage installé et le jeu omniprésent. » Pour certains, comme Sabine Duflo, il y a « une nocivité même de l’écran qui est addictif, quelle que soit l’action des parents. C’est pourquoi il faut une intervention de l’Etat ». Serge Tisseron préconise par exemple l’inscription d’avertissements sur les affiches publicitaires et les emballages de produits numériques tels que « déconseillé aux enfants de moins de 3 ans : peut nuire au développement psychomoteur et affectif », ou « votre bébé a besoin de votre regard : ne laissez pas votre smartphone faire écran entre lui et vous ». Mais le meilleur levier d’action reste l’exemplarité : comment demander aux enfants de réguler leur usage des écrans, si les adultes qui les entourent en sont incapables ?
* Serge Tisseron méthode 3 6 9 12
Les plus pauvres sont davantage exposés à une mauvaise gestion des écrans
« L’absence ou l’insécurité de l’emploi, la famille monoparentale confrontée aux difficultés matérielles, une trop grande distance aux services éducatifs, sociaux et médicaux, un contexte culturel appauvri, sont autant de facteurs qui peuvent rendre difficile, voire inaccessible, la compréhension du numérique, l’éducation aux usages des écrans, la distance critique et l’indispensable autorégulation », constatent les académies des sciences, de médecine, et des technologies dans leur rapport d’avril 2019. Une nouvelle fracture sociale apparaît ainsi entre ceux qui sont « préparés à bénéficier des apports du numérique » et ceux « pour lesquels celui-ci peut aggraver les difficultés ».