L’exposition croissante aux écrans, un nouvel enjeu de santé publique
La quantité d’écrans qui nous entourent et le temps que nous passons en leur compagnie s’accroissent d’année en année. De nombreux scientifiques et professionnels de santé s’inquiètent de l’impact de ce phénomène de société.
4h30. C’est le temps quotidien que les Français passent en moyenne devant les écrans* ! Ils vérifient leur portable 26 fois par jour, et 41% le regardent même au milieu de la nuit, selon une étude de Deloitte (2016) ! En quelques années les écrans ont envahi le quotidien. Alors qu’en 1950, seuls 4 000 foyers disposaient d’une télévision, dès la fin des années 1960, chaque famille en possède une. Les premiers ordinateurs domestiques et téléphones mobiles sont commercialisés dans les années 1980. En 1994, les smartphones apparaissent, suivis par les tablettes en 2010. Aujourd’hui on compte 5,5 écrans par foyer** ! Sans compter ceux qui fleurissent dans les transports en commun, magasins, rues, bars et restaurants. Pas étonnant que le temps passé sur ces supports numériques ait augmenté de 50% en 10 ans. Une simple nouvelle habitude ? Pas seulement, si on en croit plusieurs lanceurs d’alerte qui s’inquiètent du temps croissant grignoté par ces outils et de leur emprise.
Des troubles du développement chez certains enfants surexposés
Les académies des sciences, de médecine et des technologies ont ainsi publié un rapport commun en avril 2019 appelant à la « vigilance ». « On observe chez certains jeunes enfants de moins de 3 ans un usage préoccupant des écrans (plusieurs heures par jour) ».
73% des Français se considèrent « dépendants » de leurs écrans.
Dans ces situations, « fasciné par les bruits et les lumières vives, totalement passif, le très jeune enfant peut apparaître déjà comme une victime d’un trouble comportemental », avec notamment des « réactions de colère lors du retrait ». Il y a dès lors un risque de « retentissement de ce comportement sur son développement psychomoteur et relationnel, ainsi que sur ses capacités d’apprentissage », alertent les scientifiques. Car, pour se développer correctement, un enfant a besoin « d’interactions riches et variées qui impliquent tous ses sens » et sont indispensables pour développer sa motricité, son apprentissage de la communication – par le langage mais aussi par sa compréhension des expressions du visage – ou encore ses capacités d’attention et de concentration. Forts de ce qu’ils constatent dans leurs cabinets de consultation, plusieurs professionnels de santé, telles Anne-Lise Ducanda, médecin en protection maternelle infantile (PMI), ou Sylvie Dieu Osika, pédiatre, s’alarment. Pour elles, la hausse des troubles cognitifs et intellectuels ainsi que les retards de plus en plus nombreux dans l’acquisition du langage chez les enfants de 2 à 11 ans sont liés à leur exposition excessive aux tablettes et compagnie. C’est ce qu’elles écrivaient, avec d’autres membre du collectif « surexposition aux écrans » (CoSE), dans une tribune parue dans Le Monde en février dernier. Prudence néanmoins, nuancent les trois académies : il est impossible, en l’absence d’études détaillées, de départager ce qui relève d’une potentielle nocivité intrinsèque des écrans, de ce qui dépend de la négligence des parents.
Des troubles chez les adultes également
Les enfants ne sont pas les seuls concernés. Chez les adultes aussi, des études prouvent la nocivité des écrans sur le sommeil (voir p. 19) et donc sur l’attention, ou encore ses effets néfastes sur la vision (voir p.14). Encore embryonnaire, le sujet anime la communauté scientifique, et plusieurs questions restent en suspens, notamment celle-ci : téléphones, télévision et autres peuvent-ils créer une addiction ? Perte de la notion du temps, difficulté à limiter son usage, impact négatif sur sa vie sociale, consultation frénétique de ses mails et notifications… 73% des Français se considèrent « dépendants ». Un mot excessif selon les trois académies. Reste que récemment des chercheurs de l’université de Berkeley ont observé que pour le cerveau, consulter une énième fois son smartphone pour espérer y trouver un message, une notification…. même complétement inutile, correspond à un acte aussi addictif que lorsque l’on souffre d’un rapport problématique à la nourriture, aux jeux d’argent, ou à certaines drogues. « Le code neuronal est commun », c’est-à-dire que le même circuit de production de dopamine est activé dans le cerveau, explique le professeur Ming Hsu, neuroéconomiste dans un article publié par l’université en juin 2019. La question reste en suspens.
* 2ème vague du baromètre de l’hyperconnexion – sondage BVA pour la Fondation APRIL – juin 2019
** lebonusagedesecrans.fr