Pourquoi n’arrive-t-on pas à enrayer l’habitat indigne ?
Depuis la loi Alur de 2014, l’arsenal législatif pour lutter contre l’habitat indigne s’étoffe. Mais faute d’une visibilité précise, de moyens et d’autorités centralisés, résoudre les problématiques de ce fléau reste difficile. Un contexte qui pourrait bientôt changer.
À Marseille, la crise de l’habitat insalubre n’en finit plus. Le 30 juin dernier, l’escalier d’un immeuble s’est écroulé, faisant un blessé léger et contraignant à évacuer sept de ses habitants. Cette fois, ce ne sont par les rues populaires du centre qui ont été touchées. Le sinistre a eu lieu dans les quartiers résidentiels. Pourtant, l’habitat indigne n’est pas laissé pour compte par le gouvernement. La preuve : quelques jours avant le drame du quartier de Noailles, Julien Denormandie annonçait le lancement d’Initiatives Copropriétés : un plan de 3 milliards d’euros pour aider les copropriétés à la dérive.
Un repérage difficile
Selon les chiffres de l’État, l’habitat insalubre concerne entre 400 000 et 2,8 millions de logements. La Fondation Abbé Pierre avance le nombre de 600 000. Quand la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) en recensait en août 2018… 49 000. « Le repérage a été certes effectué d’une façon méthodologiquement discutable, a concédé le député LREM Guillaume Vuilletet, chargé par Edouard Philippe d’une mission contre l’habitat indigne.
L’habitat indigne n’est pas un stock qui existe et que l’on peut résorber.
En tous cas, il témoigne que nous ne savons pas où nous en sommes. » Une évidence pour Christian Nicol, chargé en 2015 de rédiger un rapport sur la requalification du parc privé à Marseille, sous l’égide de Silvia Pinel, alors ministre du logement. « L’habitat indigne n’est pas un stock qui existe et que l’on peut résorber. Il se développe tous les jours. À Paris, après avoir éradiqué plus de 1 000 immeubles insalubres grâce à une volonté politique depuis 2001, l’habitat indigne réapparaît à cause d’immeubles non identifiés en tant que tels ou tout simplement qui rechutent. » Ce fléau est une véritable gangrène, d’autant qu’il recouvre une réalité protéiforme : copropriétés dégradées dans les centres-villes, locaux impropres à l’habitation, mais aussi pavillons réaménagés en micro-logements ou vieilles fermes divisées en plusieurs appartements. « Les marchands de sommeil s’adaptent aux évolutions de l’action publique. Ils se replient aujourd’hui de plus en plus sur le tissu pavillonnaire en vendant les biens qu’ils possèdent dans les copropriétés dégradées », a constaté Geoffroy Didier, président de l’Établissement public fonciwde l’Ile-de-France dans le cadre de la proposition de loi du Sénat pour améliorer la lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux.
Des outils mal connus ou éparpillés
Pourtant les outils sont là : « s’il est évident que la ville de Marseille ne les a pas utilisés, les bonnes pratiques se sont répandues comme à Paris ou en Seine-Saint-Denis avec des résultats sérieux sur les réhabilitations », ajoute Christian Nicol. Pour sa part, l’Agence nationale de l’habitat (Anah), bras armé de l’État sur le sujet, a annoncé la rénovation de 120 000 logements en 2019, soutenue par un budget en hausse à 874,1 millions d’euros, grâce au plan Initiative Copropriétés, mais aussi à Action Cœur de Ville, à l’opération Logement d’abord, et au Plan de rénovation énergétique des bâtiments avec son programme Habiter Mieux. Reste que pour les ménages, il est souvent difficile de se repérer dans le dédale des aides qui pourraient être à leur portée ou de savoir vers qui se retourner en cas de refus de remise en état d’un logement par un propriétaire récalcitrant. En outre, l’arsenal législatif pour lutter contre les marchands de sommeil ne cesse de s’étoffer depuis la loi Alur de 2014. Il a été enrichi en 2017 par la loi Egalité et Citoyenneté, puis par la loi Elan, fin 2018. Avec un effet pervers. L’habitat indigne, dégradé ou indécent se combat à travers un panel de 13 polices différentes, déployées par le maire, le président d’intercommunalité ou le préfet. « La boîte à outils existante permet de traiter pratiquement toutes les problématiques, dévoile Christian Nicol. Mais elle est compliquée à mettre en œuvre parce que la responsabilité est diluée entre l’Agence régionale de santé et les collectivités. » Hélas, à un moment, la machine peut déraper.
Bientôt une police unique du logement ?
Pour permettre à l’État et aux collectivités de mieux appréhender les situations à risque, « nous avons besoin de deux choses. D’une vision plus précise du phénomène, et de l’assurance que les procédures sont suivies d’actions visant à éradiquer les désordres », réclame Olivier Morzelle, sous-directeur aux politiques de l’habitat à la DHUP. Message entendu en tous cas au Sénat qui a adopté une proposition de loi en première lecture le 11 juin dernier. À l’initiative du sénateur LR des Bouches-du-Rhône, Bruno Gilles, celle-ci comporte une mesure phare : la création d’un police spéciale du logement. « Avoir une seule procédure qui réunit tous les défauts qui peuvent affecter les immeubles, et définir une autorité unique qui serait l’intercommunalité est une excellente nouvelle », se réjouit Christian Nicol, tout en prévenant : « il faut quand même que l’État puisse intervenir quand les collectivités sont défaillantes »… Comme à Marseille, où en dépit de son rapport de 2015 qui avait constaté « un parc privé indigne et dégradé d’une rare ampleur », il n’y avait eu ni intervention du préfet pour contrecarrer les défaillances, ni de mise en demeure faite à la ville pour agir. Un manquement bientôt rectifié ? En tous cas, lors de son passage sur les bancs de l’Assemblée nationale, les députés ont d’ores et déjà annoncé vouloir enrichir le texte proposé par Bruno Gilles.