L’objectif de zéro SDF est-il réalisable ?
Faute d’un recensement précis, et à cause d’une dispersion des dispositifs d’accompagnement, le sans-abrisme en France ne cesse d’augmenter. Pourtant les moyens sont là.
Au moins 200 000 personnes dormiraient dehors en 2019. Un comptage qui serait même bien en dessous de la réalité, faute de statistiques publiques récentes : la dernière enquête de l’Insee remonte à 2013. Elle faisait état de la présence de 141 500 sans domicile en 2012 et d’une progression de 50% de ce chiffre en 10 ans.
566 SDF sont décédés en 2018.
Aussi, depuis deux ans, des grandes villes comme Paris, Grenoble, Rennes ou Metz organisent, avec l’aide d’associations, des recensements locaux : une première condition pour pouvoir agir. D’autres associations effectuent leur propre comptage comme le collectif Les Morts de la rue. Selon ce dernier, 566 sans domicile sont décédés en 2018. Parmi ces victimes de la rue, mortes sur la voie publique, dans des abris de fortune tels qu’un parking, une cage d’escalier, dans le métro, mais aussi dans les structures d’hébergement, figurent 13 mineurs, dont six avaient moins de 5 ans. « Tous les ans, rappelle le collectif, une personne, âgée en moyenne de 48 ans, meurt chaque jour dans la rue. »
Un effort sans précédent, mais insuffisant
Pourtant, le gouvernement ne baisse pas les bras. Le parc d’hébergement d’urgence s’élève au total à 145 000 places ouvertes par l’État, auxquelles viennent s’ajouter plus de 100 000 places réservées aux demandeurs d’asile. Et sous l’effet de l’action du gouvernement, plus de 8 700 logements ont été mobilisés en 2018. Un effort sans précédent. Mais insuffisant. En novembre dernier, dans les grandes villes comme Paris, Lyon ou Lille, 60% à 80% des demandes d’hébergement formulées au 115 n’ont pas obtenu de réponse. « Si on veut vraiment agir contre le sans-abrisme, il faut offrir de véritables solutions de logements plutôt que de continuer à multiplier les places d’hébergement d’urgence ou d’hôtels, inadaptées et coûteuses. » explique Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, Selon les associations de lutte contre l’exclusion, il faudrait produire a minima 60 000 logements très sociaux par an, soit 20 000 de plus que les objectifs gouvernementaux. Pour Florent Gueguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité : « On peut tout à fait atteindre des résultats significatifs sur cinq à 10 ans. Mais avec la chute programmée de la production de logements sociaux en raison du mécanisme de la réduction du loyer de solidarité, nous n’en prenons pas le chemin ».
Travailleur social référent et dossier unique
Arriver à zéro SDF est un objectif ambitieux. La difficulté pour l’atteindre se situe au niveau de la prise en charge au moment où les sans domicile se retrouvent à la rue. Plus ils restent longtemps, plus c’est difficile. Il faut avant tout se pencher sur le moment de l’arrivée à la rue, en prévenant les ruptures. Mais aussi anticiper la sortie qui peut être tributaire de démarches longues et chronophages. La multiplication des interlocuteurs des services sociaux face aux SDF rend l’accès à ce suivi et à cet accompagnement fastidieux, souvent impossible. Seulement un tiers d’entre eux serait suivi. C’est pourquoi Julien Damon, sociologue, spécialiste des questions d’exclusion, propose que chaque SDF ait un travailleur social référent et un dossier social unique, numérique. À l’image du dossier médical partagé. Ces mesures rendraient un peu plus perfectible l’accompagnement, en évitant aux personnes en grande détresse de devoir sans cesse exposer leurs difficultés.