Un week-end pour se former à la démocratie locale près d’Angers
En avril, à Chalonnes-sur-Loire, quinze citoyens des environs se sont initiés aux méthodes de gestion participative, de décision par consensus et de vote sans candidat.
Quinze hommes et femmes âgés de 35 à 70 ans sont venus de différentes communes situées à 20 ou 30 km à la ronde pour se réunir dans une salle municipale de Chalonnes-sur-Loire (Maine-et-Loire), mise à disposition par la mairie durant le week-end des 6 et 7 avril dernier. Ils sont banquiers, artistes, vignerons, administrateurs d’institutions socio-culturelles, responsables associatifs, fonctionnaires ou encore élus de l’opposition dans leur commune. Tous cultivent un même objectif : bâtir une liste citoyenne pour briguer la mairie de leur commune lors des prochaines élections municipales en 2020. Au-delà des étiquettes politiques, ils partagent un même projet : instaurer une démocratie participative, au sein de laquelle les décisions sont prises avec l’ensemble des citoyens, et non par les élus seuls. Mettre en œuvre une telle ambition ne s’improvise pas. C’est pourquoi ils ont décidé, moyennant 30 euros, de participer à ce séminaire de formation proposé par le collectif local Vivaces et animé par Tristan Réchid, un habitant de Saillans (Drôme), commune pionnière en France de la gestion municipale par les citoyens.
Chercher à se faire comprendre et non à convaincre
Après avoir exposé l’expérience de Saillans lors d’une conférence devant 80 personnes la veille, Tristan Réchid débute la formation dans une ambiance plus intimiste, le temps que les participants fassent connaissance. Puis il affiche une vingtaine de feuilles A4 énonçant les règles d’or de la prise de parole dans ce qu’il nomme la « démocratie locale et vivante », telles que « parler en utilisant le ‘je’ et non le ‘tu’ », « respecter la parole d’autrui et écouter activement », « considérer que la bonne décision est celle qui est faisable maintenant », « chercher à se faire comprendre et non à convaincre » ou encore « avoir conscience que l’ego se cache souvent là où on ne l’attend pas ». Un premier exercice vise à définir ensemble les ingrédients indispensables d’une démocratie locale. Pour garantir l’équité d’expression entre tous, chacun dispose de trois post-its où il peut inscrire une idée unique et qu’il affiche sur un tableau commun. « Cette méthode facilite la prise de parole des timides et un dialogue sans tension. C’est un moyen rapide d’établir une cartographie très complète, même si elle pourrait être perfectionnée à l’infini. Le temps restreint est frustrant mais efficace », confie Tristan Réchid.
L’animateur se charge ensuite de lire les propositions et de les réunir par thématiques pour faire émerger les enjeux principaux partagés par le collectif. Les préoccupations se concentrent sur la transparence, la prise en compte de la diversité, les espaces d’expression des citoyens, ou encore l’organisation de la gestion partagée. Chaque point est ensuite abordé ensemble à l’oral pour préciser les propositions ou en formuler de nouvelles, et les rappels aux règles d’or se multiplient rapidement. Cette séance de brainstorming a creusé les appétits. Pendant le déjeuner, trois volontaires dessinent le schéma organisationnel de leur commune en prévision de l’exercice de l’après-midi : repenser l’organisation municipale pour la rendre plus démocratique.
La mairie devient une maison ouverte
Pour aborder cette mission ardue, Tristan Réchid invite à suivre la méthode des six chapeaux de Bono, qui symbolisent par une couleur le type de propositions qu’elle recueillies. Par exemple, le chapeau noir note les éléments à supprimer, le bleu collecte des faits objectifs, le jaune fédère les éléments à conserver, et le rouge réunit les intuitions, les espoirs et les peurs.
Repenser le schéma municipal pour le rendre plus démocratique.
Par groupe de cinq, les participants adoptent tour à tour ces différents regards. Le florilège d’idées générées par l’exercice sera synthétisé dans la soirée par deux participants élus par l’assemblée pour proposer le lendemain un modèle d’organisation nouvelle. Cette élection se déroule après avoir décrit la mission du maire et sa durée dans une fiche de poste, mais sans candidat déclaré au préalable : chaque membre de l’assemblée peut ainsi être élu maire s’il réunit le plus de suffrages spontanés des autres membres, qui se prononcent en deux tours.
Elus ainsi, Samia Hakimi et Pascal Couedel ont ensuite passé une heure de leur soirée à plancher sur leur proposition. Le lendemain, leur projet a essuyé les critiques du groupe, et a été aménagé après avoir levé toutes les objections. Dans le schéma d’organisation final, la mairie devient une maison ouverte aux citoyens, avec un agent d’accueil-animateur. Un conseil de gouvernance réunissant les élus et les habitants arrête les décisions, qui sont ensuite entérinées par le vote du conseil municipal conformément à la loi. Un observatoire indépendant veille au respect de la charte définissant les règles d’organisation et de fonctionnement. « Un tel travail demande du temps et doit être abordé par une formation pour comprendre le sens de la démarche. Beaucoup d’équipes d’élus pourraient s’en saisir pour faire évoluer les liens entre les équipes municipales et les habitants », estime Pascal Couedel. Le groupe a décidé de continuer d’échanger et de s’entraider pour diffuser cette connaissance dans leurs communes respectives, et rassembler de nouveaux adeptes de la « démocratie locale et vivante » sur leurs futures listes électorales.
Reportage de Perrine Crequy
Saillans la pionnière inspire nombre de collectivités
La première démocratie locale de France est née en 2014 à Saillans, dans la Drôme, quand cette commune de 1 200 habitants a élu une liste collective d’habitants formée six mois avant le scrutin et incluant Tristan Réchid. « Nous avons décidé de vivre pendant six ans ce qu’on avait vécu pendant six mois grâce à des techniques d’intelligence collective », explique-t-il. De la lutte contre les déjections canines au Plan local d’urbanisme, en passant par l’aménagement des rythmes scolaires et de la circulation, vingt projets ont été adoptés par consentement. Une fois par an, 7 commissions citoyennes thématiques se réunissent pour établir un diagnostic et en tirer trois projets. Ils sont ensuite étudiés par des « groupes action-projet » composés d’habitants concernés « qui prennent la parole en premier », d’élus « dans une posture d’écoute », d’experts « qui prennent la parole à la fin » et d’un animateur « qui est le garant autoritaire de la méthode ». Par ailleurs, un « conseil des sages » veille au bon fonctionnement de la démocratie locale. En 2 ans et demi, Tristan Réchid a accompagné 100 à 150 communes et collectivités désirant suivre l’exemple de Saillans. La ville de Metz a ainsi mis en place des conseils de quartiers et le département de l’Ardèche refonde sa politique en faveur de la jeunesse avec les intéressés.