L’espace public du XXIe siècle : une urgence pour les citoyens
Des rues aux salles municipales, en passant par les parcs et les bibliothèques, l’espace public est un lieu de vie, de connexions et d’échanges. Il est relié à l’espace domestique et politique, et il constitue un lieu de médiation entre les différents acteurs de la société (citoyens, associations, commerçants, élus), un espace de communication ouvert à toutes les opinions et à la critique, et un lieu physique de participation qui offre des possibilités d’action à chacun, indépendamment de toute appartenance communautaire ou politique.
Il faut sortir du marketing urbain aux recettes toutes faites.
C’est dans l’espace public que la société se réjouit collectivement et spontanément, comme lors de la victoire de l’équipe de France de football à l’occasion de la Coupe du monde l’an dernier, ou qu’elle pleure et se recueille, notamment après les attentats à Paris en 2015. L’espace public est aussi le lieu privilégié pour faire vivre la démocratie au quotidien. Il se déploie désormais jusque dans la sphère numérique. Il est aussi le socle de la mobilité sociale : c’est en son sein que l’individu peut se former, et exercer sa liberté, ses droits et ses devoirs.
L’espace public disparaît dans les territoires ruraux
Le mouvement des Gilets jaunes a montré le problème de la perte d’espace public dans les territoires en dehors des villes, et le besoin des citoyens de pouvoir accéder à nouveau à cette place de dialogue et d’appartenance à la société. « Les Gilets jaunes se sont appropriés l’espace public en l’envahissant : par les mobilisations sur les ronds-points et par des manifestations non autorisées », constate Hervé Le Bras, démographe à l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales). « Ce mouvement a mis en évidence une diagonale du vide, qui s’étend des Ardennes jusqu’au Cantal. Les données de l’Insee montrent que les services publics disparaissent dans ces régions à faible densité qui se dépeuplent, tout comme les services privés tels que les pharmacies. » Le dépeuplement de certains territoires, conjugué
à la pression sur les finances publiques, a entraîné un désinvestissement de l’espace public dans ces zones, créant un sentiment d’abandon au sein des populations locales, et finalement leur protestation. « En termes démographiques, le chômage, la
pauvreté et les familles monoparentales sont moins présents dans cette France des marges, qui se distingue également de la moyenne nationale par un moindre nombre de cadres et de diplômés de l’enseignement supérieur, et par un plus grand nombre de personnes âgées. La question qui se pose est celle de la justice spatiale : dans le calcul économique, au-delà du taux de fréquentation, il faut tenir compte de la capacité d’accès au territoire, en fonction de la distance, mais aussi de l’âge des usagers, et intégrer de nouveaux paramètres comme le niveau de revenu de la population », préconise Hervé Le Bras.
L’espace public urbain doit se moderniser
Dans les métropoles aussi, ces lieux publics cherchent à devenir plus inclusifs, plus dynamiques, plus connectés, plus fluides, plus démocratiques, plus sécuritaires et plus accessibles. « On parle du déclin de l’espace public depuis la moitié du XIXe siècle. En fait, ses frontières sont mouvantes et il se recompose constamment. Mais il est vrai que la valorisation des espaces publics au XXe siècle n’était pas très importante : la vie « métro, boulot, dodo » a d’ailleurs été décriée dès Mai 1968. Aujourd’hui, il y a une aspiration générale à un nouvel espace public, et une idéalisation d’un âge d’or du vivre ensemble inspiré par l’Athènes antique », souligne Caroline de Saint-Pierre, chercheure en anthropologie sociale à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques) et maître de conférences à l’Ensa (Ecole nationale supérieure d’architecture) Paris-Malaquais. Pour elle, ce sont les usages qui font l’espace public. Ainsi, une place de quartier ne devient réellement un lieu public que lorsqu’elle accueille des événements permettant de rassembler les gens, comme le marché hebdomadaire par exemple. De même, des espaces privés à usage collectif, comme les centres commerciaux, sont des endroits publics pour les jeunes qui s’y donnent rendez-vous pour socialiser et sortir de leur quartier de résidence. « Il est essentiel de refaire émerger la notion d’ambiance dans l’espace public et il faut sortir du marketing urbain aux recettes toutes faites qui donnent la même chose partout, pour produire une interprétation locale de l’espace public. Pour cela, il faut tenir compte des usages. Ceux-ci évoluent très vite : plutôt que de penser un lieu public définitif, figé, mieux vaut permettre l’éphémère. » Des initiatives fleurissent actuellement pour construire les espaces « en commun » de demain, et munir les élus de nouveaux outils de projet. C’est désormais une attente prioritaire des citoyens.