Européennes : la force d’Emmanuel Macron réside dans l’affaiblissement spectaculaire de ses opposition
Le président de la République n’a pas facilité la tâche de ses opposants en faisant preuve d’une résilience et d’un sens tactique hors du commun, mais il lui faut maintenant également faire des choix cruciaux.
Malgré une campagne morne et loin d’être à la hauteur des enjeux, le dénouement de ces élections européennes aura fait mentir son statut de rendez-vous politique de seconde zone. L’augmentation sensible de la participation pourrait être interprétée comme la marque d’un intérêt pour la campagne européenne, mais elle révèle plutôt l’envie des Français de participer activement à la recomposition politique en cours. Le vote s’est fait essentiellement sur des enjeux nationaux et constitue un sondage grandeur nature pour Emmanuel Macron et ses opposants. A ce titre, il est à prendre avec une certaine distance, du fait de la volatilité croissante de l’opinion et de l’emprise de l’immédiat et de l’émotion sur les comportements électoraux.
Ce scrutin vient d’abord clore une longue séquence débutée il y a quasiment un an lors de l’affaire Benalla, puis prolongée par la crise des Gilets Jaunes. Il ne fait aucun doute que ce résultat est une bouffée d’oxygène pour le Président. Il n’y a guère que Marine Le Pen pour y voir l’expression d’une sanction. Le rétablissement de la situation d’Emmanuel Macron est spectaculaire, il semble avoir retrouvé une capacité d’initiative sans avoir eu à renoncer à son programme.
Cette appréciation doit cependant être nuancée. En effet, si la cohérence du projet présidentiel n’est pas remise en cause quant aux objectifs et aux mesures, les marges de manœuvres restent étroites. Il n’est plus guère question de cadeaux budgétaires après les concessions de ces derniers mois et l’image du Président reste fortement dégradée dans l’opinion. Le moindre incident pourrait mettre le feu aux poudres, comme en témoignent les premières réactions à la hausse sensible du prix de l’électricité. Gare donc à tout triomphalisme.
Une fois n’est pas coutume, la force d’Emmanuel Macron réside principalement dans l’affaiblissement spectaculaire de ses oppositions. Les deux forces susceptibles de représenter une alternative au duopole LRM-RN se sont effondrées. Si les orientations sont opposées, les raisons de l’échec sont assez similaires pour les deux partis : celui d’une stratégie consistant à siphonner les électeurs du RN. Pour LFI cela s’est fait par la revendication d’un projet populiste jouant sur la défiance vis-à-vis de l’« establishment » et de l’Union européenne, pour LR par la défense d’une ligne identitaire.
Mais dans les deux cas, les électeurs ont préféré l’original à la copie. LFI est dans l’impossibilité de tenir un discours critique sur l’immigration, qui serait intolérable pour le cœur de son électorat très marqué à gauche, alors même que c’est le moteur du vote RN. Quant aux Républicains, leurs longues années au pouvoir et leurs ambiguïtés les rendent incapables d’incarner ce que recherchent les électeurs lepénistes. À cela s’ajoutent pour les deux formations les dérives de leaders isolés et autoritaires. Une longue période d’introspection s’annonce pour elles, qui doit absolument déboucher sur une refonte totale de leur stratégie au risque de sombrer un peu plus.
D’aucuns voient déjà dans le score remarquable des écologistes l’émergence d’une opposition de gauche modérée à Emmanuel Macron. Là aussi, la prudence est de mise. La gauche n’est pas morte, elle rassemble environ 30% des voix et sans doute un peu plus si l’on y inclut la gauche libérale qui continue à soutenir la majorité, mais la rassembler relève d’une gageure. Les inimitiés sont réelles et les clivages béants, même au-delà des questions d’ego. Le rapport à l’Europe et à l’économie de marché reste une profonde ligne de fracture entre toutes ces formations. L’écologie est une valeur montante, à juste titre, mais plus elle s’affirme plus elle sera captée par d’autres. Qu’elle puisse constituer le point de ralliement à gauche reste un point d’interrogation.
Emmanuel Macron n’a pas facilité la tâche de ses opposants en faisant preuve d’une résilience et d’un sens tactique hors du commun, mais il lui faut maintenant également faire des choix cruciaux. La meilleure stratégie serait sans doute de conforter son aile droite en gardant le cap des réformes et de la défense de l’ordre républicain tout en honorant ses promesses sociétales et en investissant le champ écologique. Cet exercice serait fidèle au « en même temps » originel mais reste un numéro d’équilibriste compliqué à réaliser. Son principal inconvénient serait de continuer à installer l’opposition LRM/RN comme le nouvel horizon de la vie politique française. C’est un clivage qui existe mais qui reste très réducteur, et qui ne correspond pas au débat fondamental sur l’organisation de la vie économique et sociale. Il continuerait sans doute à générer de la frustration dans l’électorat et à alimenter l’instabilité. Il y a donc fort à parier que le kaléidoscope n’ait pas fini de se décomposer ni de se recomposer.