L’Europe doit cultiver sa diversité et agir sur l’essentiel
L’Union européenne n’apparaît plus aussi fragile, le Brexit l’a paradoxalement renforcée en exposant les coûts d’une sortie improvisée, mais son existence et sa légitimité restent toujours férocement combattues.
Pour sortir par le haut de ce débat et relancer la machine européenne, il faut dépasser l’opposition piégée entre fédéralistes et nationalistes. Aux plus fédéralistes, il faut dire que l’UE ne sera pas achevée grâce à la seule vertu de l’harmonisation des politiques nationales et qu’il est vain de chercher à effacer les différences entre les peuples qui la composent ; aux nationalistes, il faut objecter qu’il n’y a nul besoin d’un demos européen, une chimère à ce stade, pour pouvoir faire vivre la coopération et la démocratie sur le continent.
La citoyenneté européenne est une réalité juridique, mais l’écrasante majorité des Européens se définissent encore aujourd’hui par leur appartenance nationale. Le débat public européen reste la juxtaposition de débats publics nationaux. Pour autant, cela ne doit pas nous empêcher d’agir ensemble. Nombre d’Etats démocratiques et fonctionnels, certes avec plus ou moins de réussite, sont multinationaux, multiethniques et multilinguistiques. La persistance des nations et des identités est une réalité, mais elle ne peut constituer une excuse à l’immobilisme et au repli sur soi.
Les institutions européennes doivent refléter cet état de fait et pleinement s’appuyer sur les démocraties nationales. Les tentatives d’européaniser l’élection au Parlement européen (déjà juridiquement possible) par la création de listes transnationales ou de retirer le pouvoir de nomination du Président de la Commission aux Etats pour le confier directement aux citoyens doivent être accueillies avec prudence. Souhaite-t-on réellement que les Européens aient à voter pour des candidats qui ne parlent pas leur langue, étrangers à leur culture politique et à leur psyche ? De la même manière, la voix des parlements nationaux devrait être confortée au sein de la mécanique européenne pour pouvoir défendre certains intérêts que les gouvernements ont tôt fait d’oublier une fois à Bruxelles (pour pouvoir ensuite mieux accuser l’UE de les négliger).
Vient ensuite la question des objectifs. La construction européenne a été conçue à l’origine comme un projet aux contours volontairement flous. La méthode était connue, celle des petits pas ou de la force des choses chère à Robert Schuman par laquelle l’intégration économique devait créer des solidarités de fait préalables à une véritable intégration politique. Mais dans quel but ? Aucun point d’arrivée n’était clairement défini, si ce n’est cette union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, toujours proclamée en exergue des Traités fondateurs. Ce sont ces objectifs qu’il faut maintenant clairement définir en identifiant les domaines dans lesquels une action commune est nécessaire et ceux dans lesquels l’UE n’a pas vocation à jouer un rôle de premier plan.
Comme le dit Jean-Claude Juncker, il faut effectivement que l’Union soit « grande sur les grandes choses et petite sur les petites choses ». Mais il faut d’abord rétablir une vérité. Si l’Europe est parfois accusée d’adopter des réglementations techniques qui paraissent mineures c’est pour permettre au marché unique de fonctionner, pas par passion bureaucratique. Les efforts fait ces dernières années font de l’UE une des administrations les plus exemplaires quant à la qualité de sa législation, de sa sobriété et de sa transparence, comme le reconnaît elle-même l’OCDE.
L’UE devrait se concentrer sur deux choses. Elle doit continuer bien sûr à créer et à maintenir cet espace de liberté qu’est devenu notre continent : liberté de circulation et des échanges, liberté d’étudier ou de s’installer à l’étranger. Elle doit ensuite agir prioritairement là où les Etats ne peuvent plus agir seuls du fait du caractère transnational des problèmes à affronter : environnement et climat, politique migratoire et défense des frontières communes, grande criminalité et terrorisme. Dans les domaines plus sensibles, où les identités et les particularités nationales sont les plus affirmées et les enjeux plus locaux, comme la protection sociale, la fiscalité, l’éducation ou la culture, l’action de l’UE doit être prudente, se limitant à ce qui est nécessaire pour assurer la sécurité et la prospérité du continent mais sans chercher l’uniformisation.
Nous avons plus que jamais besoin d’Europe, d’une Europe sobre et utile qui construit sa force sur les différences entre les peuples et les Etats qui la composent.