Gilets jaunes, le début de la fin mais…
Le mouvement des gilets jaunes est peut-être sur la fin mais la reconquête de la confiance des Français n’en est elle qu’à ses débuts.
POLITIQUE – Plus de quatre mois après l’acte inaugural de leur mouvement, les gilets jaunes tiennent toujours. Rares sont ceux qui misaient sur une mobilisation de cette durée, même si celle-ci ne rassemble désormais qu’une petite minorité, une dizaine de milliers de personnes tout au plus, ceux pour qui la sortie de crise n’est concevable que par un changement de régime. Un régime qui justement continue à tenir bon, à rebours là aussi des prédictions les plus dramatiques de la fin de l’année 2018.
Après un été douloureux marqué par l’affaire Benalla et la démission de certains poids lourds du gouvernement, Emmanuel Macron a été pris de court par la grogne des gilets jaunes. Le mouvement a des racines profondes qui précèdent l’arrivée au pouvoir du nouveau président, mais celui-ci porte une partie de la responsabilité du fait d’une série d’erreurs stratégiques et, plus fondamentalement, faute d’avoir pris suffisamment en considération cette France qui n’a pas voté pour lui. Le quinquennat avait atteint un point de bascule et le pire semblait se profiler pour un Emmanuel Macron ayant théorisé la réforme permanente : la paralysie après seulement un an et demi de mandat. Quatre mois après, ce scénario noir ne s’est pas matérialisé, cela dû en grande partie à son habileté politique.
Les mesures sociales, qui ont constitué un réel effort, ont permis de contenter une majeure partie des gilets jaunes et de montrer que le gouvernement n’était pas sourd à la colère. Il fallait absolument lâcher du lest pour pouvoir enrayer la chute. Ce faisant, Emmanuel Macron ne s’est pas renié, il n’a pas renoncé à certaines de ses réformes emblématiques comme la suppression de l’ISF ni à la nécessité des réformes structurelles. Il n’a fait que décaler le retour de la France dans les clous budgétaires, avec la bénédiction de Bruxelles qui n’aurait pas pris le risque de précipiter la chute de son champion. Ces annonces unilatérales et sans concertation préalable, une dimension qui aurait pu lui être reprochée, ont permis de circonscrire la cible des bénéficiaires et d’éviter une cacophonie de demandes sectorielles. Son cœur électoral, plutôt situé à gauche, ne l’a pas abandonné et le réinvestissement du champ de l’ordre républicain a largement contribué à cimenter une aile droite qui aurait pu être échaudée par l’écart fait dans la réduction de la dépense publique.
Macron s’est livré à un exercice dans lequel il excelle : faire campagne et aller au contact des Français, si besoin physiquement.
Le grand débat, qui apparaissait à beaucoup comme un simple gadget, a ensuite permis à Emmanuel Macron de remonter la pente. Là encore, sa lecture de la situation s’est révélée payante. Il a misé sur deux ressorts fondamentaux de la vie politique française : la méfiance vis-à-vis de la représentation nationale et le rapport direct à l’élu du suffrage universel d’une part; d’autre part le besoin viscéral de s’exprimer, de débattre et de rapporter au pouvoir les injustices vécues, illustré par ces cahiers de doléances qui ne sont pas sans rappeler leurs lointains prédécesseurs.
Les citoyens se sont semble-t-il emparés de ce grand débat et le président a marqué des points en se livrant à un exercice dans lequel il excelle : faire campagne et aller au contact des Français, si besoin physiquement. Ce débat a aussi eu le mérite de garder l’opposition à distance et l’avantage de révéler au grand jour la variété des demandes émanant de la population, ainsi que leur caractère souvent contradictoire, prélude à des arbitrages qui ne pourront évidemment pas contenter tout le monde.
Reste cette poignée d’irréductibles que seul un départ d’Emmanuel Macron pourrait faire renoncer, un départ qui n’est évidemment pas à l’ordre du jour. Sans la force du nombre, c’est bien la violence et le désordre, même s’ils ne les défendent pas tous, qui leur donne encore un écho et une résonance médiatique. De ce point de vue, le récent changement de stratégie du pouvoir dans le maintien de l’ordre pourrait s’avérer payant, en séparant les contestataires pacifiques du reste en les dissuadant de participer à des manifestations non déclarées, tout en accentuant la répression sur ceux qu’il faut bien qualifier d’émeutiers. Le pari est que l’attention portée à cette mobilisation, une fois réduite à des défilés traditionnels, finira par s’effacer. Le risque existe néanmoins d’installer dans la durée un face à face entre les forces de l’ordre et les éléments les plus radicaux et les plus mobiles pour qui l’affrontement est une fin en soi.
Reste maintenant à sortir par le haut du grand débat et à ne pas donner l’impression qu’il ne se résumait qu’à une vaste opération de communication, au risque de faire redescendre dans la rue ceux qui s’en étaient éloignés et de compliquer sérieusement la sortie de crise. Le mouvement des gilets jaunes est peut-être sur la fin mais la reconquête de la confiance des Français n’en est elle qu’à ses débuts.