« Nous avons collectivement fait le choix de reléguer les personnes très âgées en marge de notre société »
Comment replacer la dimension sociale au cœur de la politique d’accompagnement du vieillissement ?
Jusqu’à présent, les réformes concernant le grand âge ont toujours abordé la question du financement sans définir le modèle d’accompagnement. La solvabilisation de la perte d’autonomie est indispensable, mais la question de la prise en charge exige une vision à 360°. Nous avons collectivement fait le choix de reléguer les personnes très âgées en marge de notre société, ce qui ne peut pas être une politique. Jeter l’anathème sur un système en ciblant les EHPAD est une tentation inopportune. Nous devons avant tout nous demander si oui ou non nous voulons que les personnes âgées fassent partie de notre société, si oui ou non nous acceptons de voir les symptômes du vieillissement. Si nous répondons par l’affirmative, alors nous pourrons nous interroger sur les infrastructures qui permettent de favoriser la vie dans la cité de la personne âgée, parfois désorientée. La recherche sur la neurodégénérescence – médicale, mais aussi en sciences sociales – est essentielle pour comprendre les besoins et imaginer des solutions. Enfin, il est indispensable de donner la parole aux personnes concernées, pour qu’elles puissent exprimer leurs désirs, leurs potentialités et leurs choix. On ne peut pas prétendre que vieillir à Bobigny est la même chose que vieillir dans un village de Haute-Savoie ou du Larzac.
Le maintien à domicile n’est pas une formule magique.
Quels sont les enjeux de l’EHPAD hors-les-murs ?
L’idée n’est pas d’emmener l’EHPAD au domicile : nous devons hybrider notre modèle. Les besoins dans les deux derniers mois de la vie ne sont pas les mêmes qu’au cours des deux dernières années. Chaque journée va se configurer différemment. On sait apporter des réponses adaptatives à l’échelle du prototype : je vois chaque jour des solutions bluffantes. L’enjeu est d’être capable de mettre en œuvre ces pratiques de façon systémique. L’articulation entre l’organisation sociale de la prise en charge et les attentes est aujourd’hui douloureuse, du fait d’une vision normative, descendante, autoritaire. Je ne dis pas qu’il faut aller vers un modèle flottant, mais des structures chargées d’agencer les réponses doivent émerger. La puissance publique donne un cap et norme les financements. Mais la fonction agencielle de l’accompagnement, qui relève d’une ingénierie de système complexe quasiment jusqu’à la personne, peut être confiée à des acteurs spécialisés. Ainsi, notre système serait plus souple et agile.
Comment faciliter le maintien à domicile des personnes âgées ?
Le maintien à domicile n’est pas une formule magique, ni la réponse idéale à toutes les situations. Songez à une veuve de 90 ans avec de faibles ressources, qui habite dans un appartement au cinquième étage sans ascenseur : quel est son quotidien, en dehors des visites de l’aide-soignante pour sa toilette ? Nous faisons porter aux acteurs médico-sociaux le besoin de la personne âgée en présence et en vie sociale. Ayons de l’imagination pour répondre à cette attente : créons de nouveaux métiers, ou enrichissons les métiers existants. L’innovation technique facilite la vie à domicile, mais elle ne remplace pas la présence humaine : un détecteur de chutes ne relève pas la personne. Quand le domicile n’est plus adapté ni adaptable aux besoins de la personne, il doit être quitté pour un hébergement alternatif. Se pose alors le dilemme du financement de ce logement, surtout pour les classes moyennes.