La culture gratuite… mais à quel prix ?
Pour de nombreux acteurs de la culture, la gratuité est un levier essentiel de sa démocratisation. Un calcul pas si simple, met en garde le spécialiste Jean-Michel Tobelem.
En avril 2018, Avignon annonçait que ses musées municipaux seraient désormais gratuits. Un signe fort provenant d’une ville considérée comme une capitale culturelle. Elle venait ainsi rejoindre le cercle des municipalités, comme Paris, Rouen ou Dijon, qui misent sur la gratuité pour atteindre l’objectif de la « culture pour tous ». Pour l’occasion, Avignon a même adopté une devise : « Liberté, égalité, gratuité », expliquant que « cet accès privilégié à la culture et au patrimoine est un enjeu de démocratie majeur, de mixité sociale et d’éducation pour tous ». Ces acteurs de la culture espèrent faire tomber la barrière, à la fois financière et psychologique, qui sépare le grand public des œuvres d’art, et faire en sorte que les musées ne donnent plus l’image de lieux fermés et réservés à une élite. Un choix qui, bien entendu, a un coût, même si la billetterie ne représente qu’une partie des recettes.
Pas de solution magique
Mais suffit-il qu’un musée soit gratuit pour que tous les publics s’y rendent ? La réponse est, sans trop de surprise, négative. En 2013, un rapport * de la chambre régionale des comptes (CRC) d’Ile-de-France apportait un éclairage précieux – la gratuité de la culture étant assez peu évaluée – sur la politique de la gratuité dans les musées municipaux parisiens. Si, en termes quantitatifs, cette offre semble avoir eu un impact positif sur la fréquentation des musées parisiens, elle n’a visiblement pas eu l’effet escompté sur la diversification des publics, le rapport notant une « stabilité du profil des visiteurs » au profit des publics favorisés, plutôt âgés et habitués de lieux.
La gratuité ne fait pas tout mais elle est nécessaire.
En résumé, les visiteurs qui venaient déjà… viennent encore davantage, profitant d’un effet d’aubaine. Les services de la mairie de Paris s’étaient vivement défendus, assurant que les catégories sociales inférieures et moyennes étaient désormais plus représentées parmi les visiteurs des musées municipaux que parmi ceux des musées nationaux de la capitale. Analysant le cas de Paris et des villes qui ont fait le choix de la gratuité, Jean-Marie Tobelem, professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, enseignant à l’Ecole du Louvre, spécialiste de la gestion des équipements culturels, analyse : « La gratuité ne fait pas tout mais elle est nécessaire. »
Conditions à respecter
Ainsi, si la visite du public cible n’a pas été suffisamment préparée en amont, « cette expérience va renforcer l’écart, le sentiment d’exclusion, entre ce public et le lieu culturel visité », observe le spécialiste, qui refuse que les acteurs de la culture brandissent l’excuse d’une culture qui serait « trop compliquée à expliquer » alors que les « scientifiques savent, eux, parfaitement transmettre et éclairer des concepts bien plus complexes qu’un tableau ». Jean-Marie Tobelem pose les conditions d’une gratuité réellement profitable : que le musée renouvelle régulièrement son attractivité – si l’on souhaite fidéliser un nouveau public, il faut l’intéresser sur la durée –, que le musée communique sur ses initiatives de démocratisation afin de dépasser son cercle d’habitués, en veillant à employer un discours non stigmatisant, et enfin, que le musée mette en place des dispositifs de médiation (confort de la visite, animations adaptées…). Des conseils récemment suivis par la ville de Paris, qui a musclé la politique d’« élargissement des publics » de son établissement public Paris Musées, gestionnaire de ses musées municipaux.
* Gestion du patrimoine muséographique de la ville de Paris, CRC Ile-de-France, 2013